Lana Del Rey, icône métaphysique

La chanteuse Lana del Rey sort un nouvel album, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd. Portrait intellectuel et artistique d’une musicienne qui, avant de se lancer dans « l’art des sons », avait étudié… la philosophie.

« Ouvre-moi, dis-moi que tu m’aimes, baise-moi à mort, aime-moi jusqu’à ce que je m’aime. » Dévoilé il y a quelques jours, le premier single du nouvel album d’Elizabeth Woolridge Grant, dite Lana Del Rey, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd (Interscope/Polydor, 2023), s’inscrit dans la continuité des repères que la chanteuse égraine depuis plus d’une décennie. Images, mélodies, atmosphères, cette panoplie équilibre subtilement le trash désinvolte, le tragique désabusé et le romantisme flamboyant. À n’en pas douter, la petite musique delreyenne est bien présente.

Infinie psalmodie

Trop ? Le même reproche revient souvent, à l’écoute d’un nouveau titre de la chanteuse : « C’est toujours pareil. » On évoque en général « l’obsession » mélancolique pour un passé proche mais révolu, celui de l’American Dream, de Hollywood, des années 1950, dont le fantôme hante une Amérique un peu fanée. À vrai dire, ce ressassement, Lana Del Rey l’assume pleinement – même si elle s’éloigne parfois de sa zone de confort, avec par endroits des emprunts à la trap et au hip-hop. Preuve de son opiniâtreté, sur son nouvel album : la seconde partie de Taco Truck x VB, ultime chanson, est une reprise de Venice Bitch, qui figurait il y a trois ans sur Norman Fucking Rockwell! (Interscope/Polydor, 2019)…

Une chanson en devient deux, dans Did You Know…, mais il faudrait dire encore que chaque chanson n’est qu’une parcelle d’une unique et infinie psalmodie (à l’image du titre, qui devait être plus long encore). Morceau après morceau se déploie un monde qui, jamais identique, est pourtant toujours le même. Un espace onirique, évanescent, qui colle aux lieux décrépits comme l’envers de leur trivialité mais n’est, au fond, nulle part ; un temps hors du temps, affranchi de l’écoulement linéaire des choses, tel un mantra védique, dont la répétition fait entrer dans le monde du sacré : « Quand tu sais, tu sais », glisse allusivement, comme une formule initiatique, la chanteuse d’une piste à l’autre. Les mêmes images, les mêmes lieux, les mêmes tournures reviennent hanter son œuvre déjà conséquente – neuf disques à 37 ans.

Les références sont préférablement bibliques. Le choix de faire intervenir le pasteur Judah Smith (Judas Iscariote), Jon Batiste (Jean le Baptiste) et Father John Misty (Saint Jean l’Évangéliste) n’est pas un hasard. L’artiste aime jouer avec les références religieuses, chantant dans Body Electric : « Jésus est mon meilleur ami. » La voilà pourtant qui ajoute avec provocation, dans la chanson A&W : « Dieu est un charlatan. » Si la critique Lauren Michele Jackson notait récemment dans le New York Times que l’album entier était orienté vers une « quête de transcendance », il faut sans doute préciser que cette quête semble moins évidente que jamais, dans Did You Know… La simplicité banale, quotidienne, des camions à tacos et autres colliers de bonbons remplacent les évocations d’apothéoses des débuts de la chanteuse, qui affirmait d’une voie angélique, avec un peu de provocation, « Je suis mon seul Dieu maintenant » (Disco), « Je suis devenu quelqu’un / Un monstre » (Pin Up Galore).