Dilnur Reyhan : “Les Ouïghours ne sont pas des musulmans chinois !”
Plus personne ne l’ignore : les Ouïghours sont internés dans des camps de travail forcé, modestement qualifiés de « camps de rééducation » par le Parti communiste chinois (qui, décidément, est parfaitement à l’aise avec ses vieux démons). Les voix dénonçant le traitement des Ouïghours se font de plus en plus audibles. Un traitement qui, nous l’évoquions antérieurement, s’apparente à un génocide doublé d’un ethnocide. Enseignante-chercheuse à l’Inalco et présidente de l’Institut ouïghour d’Europe, Dilnur Reyhan dénonce depuis plusieurs années les effets délétères d’une politique de sinisation se donnant pour objectif d’annihiler l’histoire et la culture ouïghoure. Grand entretien.
À l’instar des vies des Ouïghours eux-mêmes, c’est la culture ouïghoure dans son ensemble qui est aujourd’hui en grand péril. Mais comprendre l’ampleur de la perte nécessite d’abord de connaître l’histoire de ce peuple…
Dilnur Reyhan : Tout à fait. Il s’agit là d’une histoire complexe et millénaire qui demanderait à elle seule plusieurs pages de développement, puisque la présence du peuple ouïghour dans cette région [le Xīnjiāng, ou, comme la nomment les Ouïghours dans leur propre langue, le Turkestan oriental] remonte aux années 700 après Jésus-Christ. On peut cependant commencer par évoquer une date plus récente, qui me semble fondamentale : 1884. Cette année marque l’invasion de la région ouïghoure par la Chine, laquelle lui donne le nom de Xīnjiāng, donc (qui signifie littéralement « nouvelle frontière »). Puis, en 1933, les Ouïghours, profitant de la guerre civile chinoise, déclarent leur indépendance en établissant la République turque islamique du Turkestan oriental – qui échoue, car elle est presque immédiatement réprimée par la Chine et l’URSS. Ensuite, en 1944, une seconde république est proclamée sous le nom de République du Turkestan oriental, qui ne dure que 5 ans. Ces deux républiques sont toutefois très importantes pour comprendre la diversité idéologique au sein du mouvement nationaliste de la diaspora. On voit que la Première République affiche une identité turque et islamique. Mais avec la Seconde République, on ne retrouve plus ces deux termes, car cette dernière est composée des élites formées par Staline, pro-soviétiques et attachées à la sécularité. Le rôle de ces deux gouvernements est fondamental pour comprendre la division idéologique de la diaspora. Les Ouïghours résidant en Turquie s’identifient en général à la Première République (islamique, donc), tandis que ceux qui vivent en Occident s’identifient davantage à la Seconde République, qui est séculière.
Justement : quels liens peut-on précisément établir entre la culture turque et la culture ouïghoure ?
Les liens sont tels qu’un Ouïghour qui n’est jamais sorti de chez lui est tout à fait capable de converser avec un citoyen turc. Les deux langues sont extrêmement proches, car la Turquie, tout comme la région ouïghoure, fait partie du « monde turc », qui ne résume pas à eux deux : la turcité correspond à l’identité culturelle d’un grand nombre de peuples de l’Asie Centrale. C’est au nom de ce lien que Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre de la Turquie, avait en 2009 qualifié les répressions sanglantes des manifestations ouïghoures par Pékin de « génocide ». L’usage de ce mot a profondément choqué le gouvernement chinois. Jusqu’à cette date, tout lien entre Ouïghours et Turcs était soigneusement évité : il n’y avait aucune référence à la Turquie dans les manuels chinois, et par conséquent, la plupart des gens étaient totalement ignorants des liens linguistiques qui les unissaient à la Turquie. Mais après cette séquence, il était devenu impossible d’occulter plus longtemps les liens étroits unissant la région ouïghoure à l’Asie centrale et à la Turquie.
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