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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Le livre du jour

“La Vie rêvée du joueur d’échecs”, de Denis Grozdanovitch

Nicolas Gastineau publié le 28 janvier 2021 3 min

Le joueur d'échecs est un héros paradoxal. Qu’il soit vieillard au jardin du Luxembourg, enfant prodige américain ou grand maître russe, le brillant joueur a toujours sa part d’ombre. D’un côté, c’est un monstre de calcul et d’anticipation, doté d’un troisième œil stratégique et d’une inhumaine intuition. De l’autre, la fascination qu’exerce sur lui la danse des 32 pièces sur leurs 64 cases peut vite devenir son gouffre, aux confins de l’imaginaire et de la folie, comme pour Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig (1943). C’est à cette ambivalence que s’attaque l’écrivain-joueur Denis Grozdanovitch dans La Vie rêvée du joueur d’échecs (Grasset, 2021) : comment jouer sans risquer de s’y perdre ? Pour l’auteur, ce danger est d’ailleurs aussi celui du philosophe qui, à force de plonger dans l’abstraction, perd pied dans le réel. Pour trouver son point d’équilibre – celui qui permet de jouer au bord du précipice sans jamais y tomber –, le livre de Grozdanovitch s’approprie la règle de Tristan Tzara : « L’absence de système est certes encore un système, mais plus sympathique. » Dans son ouvrage, l’auteur prêche donc par l’exemple, sautant de la mécanique quantique au siège de Sarajevo. Sa règle : ériger le dilettantisme en méthode, être rigoureux dans la frivolité. Grozdanovitch n’écrit pas… il joue.

  • Le mystère du jeu. Pourquoi diable jouons-nous ? Dès les premiers chapitres, Denis Grozdanovitch affronte cette question, qui dépasse de loin l’échiquier pour devenir un vertige métaphysique. Quel est le sens de cette « pulsion ludique », qui se révèle singulièrement pendant l’enfance mais nous poursuit toute notre vie ? Et qui n’est d’ailleurs pas spécifiquement humaine, puisque « les animaux s’adonnent passionnément au jeu, eux-aussi et, pour certains (les propriétaires de chiens le savent), jusqu’à l’épuisement de leurs forces. » Pour y répondre, l’auteur repose la question qui frappait le penseur hollandais Johan Huizinga dans Homo Ludens, essai sur la fonction sociale du jeu (1938) : « Du point de vue d’une conception déterministe d’un monde régi par de simples influences de forces, [le jeu] est au plein sens du terme superabundans, superflu. » Le jeu est surabondance, dépense d’énergie, effort superflu, travail à vide, épuisement gratuit : pourquoi ?
  • La fonction agonale. Grozdanovitch restitue donc la réponse commune à Huizinga et à l’autre grand théoricien du jeu, Roger Caillois (Les Jeux et les hommes, 1958) : le jeu accomplit au sein de la société une fonction agonale (agôn signifiant en grec ancien la lutte, la compétition, le combat), c’est-à-dire qu’il permet aux humains d’y purger une part de leurs tensions conflictuelles, d’y canaliser leur énergie combattante en une activité qui la rende inoffensive. Grozdanovitch en voit d’ailleurs la preuve dans la représentation immédiatement militaire des pièces d’échecs : le roi, le cavalier, etc. Et cette tension agonistique continue d’irriguer les joueurs, elle reste palpable dans l’atmosphère de la compétition. Grozdanovitch, solide joueur d’échecs et tennisman confirmé, s’en souvient : on y lutte « à mort pendant plusieurs heures, jusqu’à oublier dans le feu de l’action que notre vie n’y était pas en jeu, et qu’on avait donc la bonne surprise après chaque cuisante défaite d’en ressortir vivant. »
  • Le dépassement du jeu. Mais le jeu ne se contente pas de cristalliser la tension combattante en une activité inoffensive, elle la magnifie également. Le joueur est un esthète, il transforme cette énergie en un acte de style : les mouvements virevoltants du maître d’échecs Mikhaïl Tal transforment les petites figurines soldatesques de l’échiquier en danseurs. Face à cet émerveillement, la tension agonistique n’explique plus rien car on ne joue plus contre mais avec. Qui a déjà fait au tennis un échange qui se prolonge intensément comprendra ce passage de Caillois, repris par Grozdanovitch : « Peu importe alors que l’un ou l’autre gagne, ce qui compte c’est de garder l’harmonie du rythme. L’idéal n’est plus de faire un don ou un coup qui ne puisse être rendu, c’est que le jeu ne s’arrête jamais. Les jeux agonistiques sont alors au plus près de la danse. Ou de l’amour. »

 

La Vie rêvée du joueur d’échecs, de Denis Grozdanovitch, vient de paraître chez Grasset. 208 p., 19€ (tirage physique) / 13,99€ (édition numérique), disponible ici.

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