La révolution écologique est obligée. Mais pas “à la schlague” !
Dans leur ouvrage qui vient de paraître, La Révolution obligée (Allary Éditions, 2024), Xavier Desjardins et David Djaïz rappellent que la transformation écologique que nous devons mettre en œuvre pour éviter le pire doit être radicale et rapide. Mais ils plaident pour qu’elle se fasse de manière négociée, et pas autoritaire. Un chemin pour l’avenir ? Voici leur tribune.
« La transformation écologique à venir ne pourra être qu’une révolution. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger la biodiversité, nous devrons habiter autrement, voyager différemment, changer nos modes de production et de consommation. L’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050, accompagné d’un objectif intermédiaire en 2030, matérialisé en Europe par le “Fit for 55”, c’est-à-dire l’ambition de réduire de 55% nos émissions par rapport à 1990, donne la mesure de la marche à gravir sur le seul plan du climat. Certes, les Européens ont déjà réduit de près de 25% leurs émissions de gaz à effet de serre depuis 1990. Mais cela induit qu’il va nous falloir accomplir en sept années davantage que ce que nous avons fait en plus de trente ans. L’ampleur de la mutation à venir est à la mesure de la révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle. Changement de ressources énergétiques, déploiement de nouvelles technologies, investissements massifs dans de nouvelles industries et mises en rebut de beaucoup des actuelles, tout cela ne se fera évidemment pas sans bouleversements sociaux, politiques, économiques et géographiques. La transition écologique à venir sera donc bien une nouvelle révolution, à la fois productive, sociale et institutionnelle, mais qui se distingue de la précédente par deux aspects.
La révolution industrielle a conduit à une explosion de la productivité, aussi bien grâce à des innovations énergétiques (charbon), techniques (locomotive, machines-outils), que de procédé (division du travail), ainsi qu’à des gains d’usage considérables pour les consommateurs : le développement du chemin de fer par exemple a permis de voyager plus vite et dans de meilleures conditions qu’en malle-poste. La révolution industrielle a ainsi engrangé une forte croissance se traduisant aussi bien par une hausse de la productivité que par une offre accrue. Elle a augmenté les richesses des nations et le confort de vie des populations. La révolution écologique n’est pas porteuse des mêmes promesses de gains, ni pour les producteurs ni pour les consommateurs. L’essentiel des innovations technologiques devra être tourné vers l’efficacité énergétique, ce qui ne va pas révolutionner la productivité – tout au plus engendrer des économies. Les gains de confort matériel offerts au consommateur seront également limités : si nous remplaçons nos véhicules thermiques par des véhicules électriques, nous roulerons toujours dans des voitures. Celles-ci ont même plus intérêt à être moins performantes et équipées avec plus de modération technologique si nous voulons satisfaire aux exigences de sobriété énergétique et matérielle. La révolution qui s’annonce n’apportera donc pas les mêmes avantages chiffrés pour l’ensemble de la société. Elle entraînera cependant d’autres bienfaits et avantages qui profiteront au plus grand nombre, que ce soit en matière de sécurité face aux bouleversements climatiques, de santé, de qualité de vie ou même d’opportunités face aux nouveaux développements industriels et économiques.
Mais surtout, la vitesse et l’ampleur requise pour le changement de système énergétique impose une révolution beaucoup plus rapide que la révolution industrielle. À l’époque de celle-ci, il n’y a pas eu de véritable “transition”, mais bien plutôt des additions. L’exploitation du charbon a souvent été présentée comme un moyen pour l’Europe de se passer du bois. Or, les mines en consommaient des quantités très importantes, à la fois pour leur édification et leur fonctionnement. Concernant le passage du charbon au pétrole, la logique reste la même : le pétrole s’est ajouté plus qu’il ne s’est substitué au charbon. Alors que la révolution industrielle était en réalité un lent et tâtonnant processus d’apprentissage, s’étalant sur plusieurs décennies et se ramifiant en de multiples directions, dont beaucoup se sont révélées des fausses pistes, la révolution écologique doit quant à elle être accomplie sous une double contrainte de temps et d’objectif.
De temps, car la neutralité carbone doit être atteinte autour de 2050 si l’on veut éviter de basculer dans l’inconnu climatique. D’objectif, car l’ensemble des transformations (le changement de système énergétique, les innovations technologiques, l’évolution de l’organisation sociale, la mutation des comportements et l’augmentation de l’investissement) doivent permettre d’atteindre un but précis : la neutralité carbone autour de 2050, ainsi que le respect des autres limites planétaires. Cette révolution écologique devra donc être une transformation rapide, radicale et unidirectionnelle. Bref, une “révolution obligée”, au double sens du terme, à la fois inévitable et fortement dirigée.
Or, ce n’est pas parce qu’il y a urgence à agir que ces transformations doivent être menées “à la schlague”, par voie de norme ou de décret. Obligé ne signifie pas autoritaire. Le récent mouvement des agriculteurs, pan-européen s’il en est, protestait en partie contre l’édiction de normes et l’inflation bureaucratique qui en résulte dans la vie quotidienne ou dans les activités productives des différents groupes sociaux ou secteurs professionnels appelés à conduire la transition. La grande transformation écologique souffre ainsi d’un manque de méthode. Une valse à trois temps caractérise nombre de décisions écologiques prises depuis quelques années en Europe dans le cadre du “Pacte vert” ou des législations nationales : un premier temps d’annonce triomphante et ambitieuse (“arrêt de l’artificialisation des sols par l’urbanisation” en 2050 ; “zéro émission nette” en 2050 ; “réduction de la pollution atmosphérique en ville” en 2030), un deuxième temps d’exaspération populaire (“on ne peut plus construire” ; “on ne peut plus produire” ; “on ne peut plus aller en ville” ; “on ne peut plus habiter une maison individuelle” ; “on ne peut plus manger d’entrecôtes”) ; enfin, un troisième temps de recul, voire, malheureusement, de retrait (“on va donner plus de temps” ; “on va faire confiance aux territoires” ; “on exonère les plus pénalisés”) des gouvernements face aux mécontentements qui se multiplient. Comme nous l’avons vécu avec l’abandon de l’écotaxe poids lourds en 2013, ou par exemple l’augmentation de la taxe carbone prélevée sur les automobilistes en 2018, ou encore très récemment avec le rétropédalage de la Commission européenne sur la directive “pesticides”.
Une méthode beaucoup plus décentralisée, négociée et contractualisée est donc nécessaire.
Prenons l’exemple des zones à faible émission. Selon une directive européenne, tous les États ont enjoint les collectivités locales à limiter l’accès des automobiles les plus polluantes aux centres urbains et à quelques vallées mal “aérées”. Ces mesures suscitent de fortes craintes des ménages populaires ou des artisans : auront-ils les moyens de s’offrir un véhicule accepté dans la métropole ou la vallée ? Dans la réalité, les effets sont très contrastés entre les villes, en fonction des alternatives par transport public dans les zones périurbaines (assez fortes à Grenoble, mais très faibles à Montpellier, par exemple), en fonction des aides d’accompagnement décidées par les collectivités locales. Plutôt qu’un simple débat “fin du mois contre fin du monde”, il faut un travail précis de détection des problèmes, qui peuvent être très localisés dans le territoire – telles communes sont mal reliées par les transports publics –, liés à des situations précises – la desserte nocturne d’un centre logistique, etc. Ce travail de diagnostic peut aboutir à l’élaboration d’un “contrat de mobilité” à l’échelle d’une agglomération entre toutes les parties prenantes (pouvoirs publics, habitants, entreprises de transports publics, concessionnaires automobiles…).
En outre, il est souhaitable “d’offrir la carotte avant de montrer le bâton” : les travailleurs modestes (artisans, livreurs) dépendants de leur véhicule thermique pour se rendre dans le centre d’une agglomération doivent se voir proposer une alternative (véhicule électrique notamment) avant la pleine entrée en vigueur de la mesure. Pas d’interdiction sans solution. Pour cela, une expertise habitante en continu serait fort utile. En convoquant les habitants les plus susceptibles d’être percutés par la mesure (artisans, ménages populaires des zones périurbaines en l’espèce), cela permet d’imaginer des solutions concrètes, d’ajuster au plus près des réalités les éventuelles exemptions ou assouplissements.
Cette transition décentralisée, négociée, contractualisée n’est pas forcément synonyme de lenteur. L’Union européenne et les États restent garants des grands objectifs : parvenir à la neutralité climatique en 2050. Mais s’ils fixent un objectif de résultat, ils doivent laisser beaucoup plus de libertés quant aux moyens de parvenir à ces objectifs aux différents acteurs, filières économiques, collectivités locales, entreprises, habitants. Cette révolution obligée ne sera réussie que si elle est négociée. »
La Révolution obligée, de Xavier Desjardins et David Djaïz, vient de paraître chez Allary Éditions. 304 p., 21,90€ en édition physique, 13,99€ en format numérique, disponible ici.
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