La résurgence de l’impérialisme

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère, rassemblés autour d’une thématique commune. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine, une question : comment faire face au retour de l’impérialisme, auquel nous assistons tout particulièrement aujourd’hui dans la guerre en Ukraine ?

Cristina Florea : “La guerre que mène Poutine en Ukraine repose sur une vision de la nation russe définie par des traits de sang, culturels et spirituels”

Vladimir Poutine : une idéologie contradictoire. C’est ainsi que l’on pourrait résumer en quelques mots la thèse développée par l’historienne Cristina Florea dans Foreign Affairs. Car à ses yeux, cette idéologie repose sur deux piliers « qui ne se mélangent pas » : l’« impérialisme » d’une part, le « nativisme » fondamentalement nationaliste d’autre part. Pendant des siècles, et encore sous l’URSS, « les traditions impériales de gouvernance de la Russie cherchaient généralement à faire une place aux différences plutôt qu’à les écraser. La plupart des élites militaires de l’empire étaient composées de non-Russes, principalement des membres de la noblesse allemande balte. L’empire russe s’appuyait également sur les élites allemandes, polonaises, suédoises, tatares, cosaques et ukrainiennes », ce qui garantissait ainsi « que de nombreux non-Russes occupaient des positions privilégiées ». Cette reconnaissance de la différence était une nécessité, pour administrer un territoire immense, en incessante expansion. Poutine n’a pas abandonné ce rêve expansionniste, mais il le réinscrit désormais dans une vision nativiste qui « place les Russes ethniques au-dessus des autres » nationalités.

Martyn Whittock : “Poutine s’est transformé en défenseur enthousiaste d’un impérialisme apocalyptique”

Dans Christian Today, l’historien Martyn Whittock revient sur le nouveau « grand récit » russe, et sur ses inspirateurs (Douguine en tête). Il identifie un motif religieux, millénariste, qui de fait transmue l’impérialisme russe en une lutte identitaire, civilisationnelle, contre l’Occident : « Cette idéologie est enracinée dans le concept d’une Russie renaissante – en opposition aux États-Unis, à l’Occident et à la démocratie libérale – affirmant sa propre identité spirituelle et culturelle », dont le triomphe devrait « accompagner la création d’une communauté nationale orthodoxe russe revitalisée et la fin de la décadence spirituelle russe. On peut voir pourquoi un certain nombre de commentateurs y voient un millénarisme profondément nationaliste. »

Niklas Albin Svensson : “Cette guerre est le produit d’intérêts capitalistes conflictuels”

L’impérialisme n’est pas seulement du côté de la Russie, affirme l’essayiste et journaliste suédois Niklas Albin Svensson sur le site In Defence of Marxism, Lénine à l’appui : il est aussi du côté des États-Unis, et plus généralement de l’Occident, et est mobilisé afin d’étendre la sphère d’emprise de l’économie capitaliste. À ses yeux – comme pour une frange de la gauche – « l’impérialisme occidental a préparé le terrain pour le conflit en Ukraine » : « les États-Unis et l’UE se sont efforcés de monter l’Ukraine contre la Russie. Ils ont encouragé la rupture de l’accord de Minsk II, auquel les nationalistes ukrainiens s’étaient opposés dès le départ », pour ne prendre qu’un exemple. « L’Occident ne savait probablement pas jusqu’où il pouvait pousser Poutine. Mais il était prêt à parier la vie du peuple ukrainien que Poutine bluffait. […] Désormais, le peuple ukrainien en paie le prix. » Un point de vue polémique largement contesté par les observateurs de la géopolitique.

Brian Y. S. Wong : “Les anti-impérialistes devraient s’opposer à l’impérialisme n’importe où, partout”

Le monde assiste, aujourd’hui, à un retour de l’impérialisme, des impérialismes. Comment y faire face ? Sur le site Ejinsight, Brian Y. S. Wong appelle à une alliance de tous les anti-impérialistes. « Pour beaucoup, l’anti-impérialisme n’est qu’une excuse bon marché – moins un véritable engagement à mettre fin à l’empire, et davantage un slogan opportuniste » qui, au bout du compte, restera un vœu pieux. Au contraire, pour le politologue, « l’anti-impérialisme devrait être un mode de vie. Il devrait constituer un ensemble cohérent et solide de valeurs qui plaident en faveur de la capacité des peuples à s’autodéterminer ». L’anti-impérialisme n’est pas seulement une position politique : il ne peut fonctionner qu’à condition de s’enraciner dans une éthique individuelle intransigeante. N’est-ce pas se condamner à l’impuissance que d’insister sur l’engagement personnel face à des entités politiques hégémoniques ? Pas si « tous ceux qui s’élèvent contre les empires s’unissent ! »