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La fin de la bise ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 04 novembre 2021 4 min

Portée disparue pour cause de pandémie, la bise fera-t-elle un jour son retour ? C’est déjà partiellement le cas, à la faveur de la vaccination et du relâchement général de la discipline sanitaire. Pour autant, le baiser amical reste associé, pour une bonne partie de la population, au risque de contagion. Sans parler de ceux qui se réjouissaient, au début de la crise sanitaire, de la suppression de ce rituel un peu barbant. Comme le soulignait récemment le sociologue Jean-Claude Kaufmann dans Le Monde, « deux philosophies de l’existence vont s’affronter : le désir de proximité et de contact pour remédier à la froideur du monde, ou le contrôle de cet élan pour interdire ce qu’il pourrait avoir d’intempestif. L’important est d’être très attentif aux arguments du camp d’en face, même s’ils sont murmurés en quelques pauvres mots. » Et si l’on commençait par se demander pourquoi on se fait la bise entre amis ? Éléments de réponse avec Émile Benveniste (1902-1976).

 

  • D’où vient la bise ? Le linguiste Émile Benveniste s’est posé la question dans quelques pages de son Vocabulaire des institutions indo-européennes (Tome I, 1969). De son point de vue, la pratique du baiser de salutation est indissociable d’une notion beaucoup plus vaste, celle de philia (φιλία), traduite en général par « amitié ». « Dès les plus anciens textes », observe-t-il, le verbe phileîn (φιλεῖν) signifie « baiser ». En témoigne « le dérive philema [qui] ne signifie pas autre chose ».
  • Pour comprendre la logique originelle de la bise, il faudrait donc comprendre celle de la philia. Or, contrairement à ce que laisse entendre sa traduction habituelle, il s’agit moins d’une affaire affective que d’une institution sociale. « La notion de philos énonce le comportement obligé d’un membre de la communauté a l’égard du xenos, de l’“hôte” étranger. […] Il faut, pour l’entendre pleinement, se représenter la situation du xenos, de l’hôte en visite dans un pays où, comme étranger, il est privé de tout droit, de toute protection, de tout moyen d’existence. Il ne trouve accueil, gîte et garantie que chez celui avec qui il est en rapport de philotes. […] Le pacte conclu sous le nom de philotes fait des contractants des philoi : ils sont désormais engagés dans une réciprocité de prestations qui constitue l’“hospitalité”. »
  • La philia est un accueil de l’autre : elle le laisse entrer dans le cercle de ce qui nous est propre – nous contaminer, en somme, pour reprendre une terminologie qui nous parle aujourd’hui. La philia implique de laisser l’autre s’approcher de soi, jusqu’au contact de la peau – en dépit de la potentielle hostilité de « l’hospitant » comme de « l’hospité » qui n’appartiennent pas, d’abord, à la même communauté. « Dans ce contexte institutionnel s’éclaire aussi l’acception particulière du verbe philein comme “baiser”. lci encore, il faut rapporter à leur valeur première les termes qui nous semblent seulement marquer l’affection. L’acte de “baiser” a sa place dans le comportement d’“amitié” et comme marque de reconnaissance entre philoi. »
  • Cette tradition n’était pas propre aux Grecs. « Hérodote [la] signale chez les Perses. » Et elle se prolongera sous diverses formes dans l’histoire, jusqu’à la bise d’aujourd’hui, plus légère, moins ritualisée. « Faut-il rappeler, à l’époque chrétienne, le “baiser”, signe de reconnaissance qu’échangent le Christ et ses disciples, puis les membres des premières communautés ? Plus récemment, le baiser est le geste qui consacre le chevalier dans la cérémonie de l’adoubement, et aujourd’hui encore, il marque la réception du dignitaire dans un ordre de chevalerie, lors de la remise des insignes. Sous ces diverses manifestations, nous retrouvons le même rapport ancien de faveur, de l’hospitant à l’hospité. »
  • La signification affective, sentimentale du baiser est seconde, dans cette logique, mais elle n’est en aucun cas absente. « C’est un lien étroit qui s’établit entre les personnes et qui fait alors de cette “amitié” quelque chose de personnel. Ce rapport mutuel comporte ou entraîne une certaine forme de sentiment. » L’étranger est accueilli, dans le baiser des philoi, au cœur de ce que l’hospitant a de plus cher, de ce qu’il a de plus propre. D’où le sens « possessif » qui est aussi attribué au terme philos. « Philos apparaît souvent […] avec les notions les plus étroitement liées a la personne : âme, cœur, vie, souffle ; et les parties du corps que sont les membres, genoux, poitrine, paupières », mais aussi avec « des termes désignant des lieux supposés chers, notamment la “terre patrie” » ou encore la demeure.
  • Le baiser marque cette inscription de l’autre en soi, jusque dans la chair. Ainsi, après la mort de Patrocle, Achille (qui l’avait accueilli en Phthie, dont son père était roi) lance : « Aucune nourriture ni boisson ne saurait passer dans mon gosier philos, alors que mon compagnon est mort, et qu’il gît, entouré de ses compagnons pleurants. » La philia est une possession par l’autre, accueilli jusque dans la chair. Le gosier d’Achille n’est plus seulement le sien, mais aussi celui d’un autre. Sous ses airs anodins, la bise est plus riche de sens qu’il n’y paraît ! Serions-nous en train de renoncer, sous le coup de la panique pandémique, à une institution millénaire ?
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