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©Tony Austin

Bain de foule

La corneille et les fourmis, une fable sans morale

Octave Larmagnac-Matheron publié le 09 décembre 2021 3 min

C’est un cliché aussi surprenant que rare. Pris par le photographe Tony Austin au cœur de la réserve naturelle Swan Lake Christmas Hill Nature Sanctuary (Colombie-Britannique, Canada), il montre une corneille les ailes déployées vers le sol, semblant prendre un « bain de poussière »… qui se révèle être un bain de fourmis. Des dizaines de petits insectes, comme invités par l’oiseaux à grimper entre ses plumes, apparaissent après agrandissement de l’image. Un comportement attesté depuis longtemps, mais qui reste énigmatique aux yeux de la science. Tentons de percer le mystère avec Richard Dawkins.

 

  • Pourquoi la petite corneille photographiée par Tony Austin se recouvre-t-elle de fourmis ? Le phénomène (« bain de fourmis », « formication » ou, pour les anglophones, « anting »), observé de manière très sporadique chez près de 200 espèces de passereaux, est connu depuis au moins deux siècles. En 1831, l’ornithologue Jean-Jacques Audubon en faisait la description chez des dindons sauvages se roulant dans des fourmilières – à mi-chemin entre la formication passive, où l’oiseau laisse une cohorte de fourmis lui monter dessus en abaissant ses ailes au sol, et la formication active, où le volatile les dépose dans ses plumes à l’aide de son bec. Les tentatives d’explication se sont multipliées au fil de décennies : nettoyage et élimination des parasites (l’acide formique des insectes est fongicide et antibactérien), lustrage du plumage, apaisement des irritations cutanées, autostimulation (grâce à l’effet « vivifiant » des substances libérées par les fourmis) ou préparation alimentaire (élimination des substances offensives des insectes, dont le goût est déplaisant).
  • Aucune de ces interprétations, cependant, n’est parvenue à s’imposer. L’effet anti-parasitaire est tout sauf évident, de même que l’idée d’autostimulation. Le facteur alimentaire est tout aussi problématique : certaines espèces qui ont recours au bain de fourmis ne les consomment pas. Le tout se complique encore par la découverte de comportements similaires mettant en jeu non des fourmis mais des scolopendres, des chenilles ou des escargots. Le « bain de poussière », tout aussi attesté, n’est-il lui-même qu’une variante de la même logique, ou une pratique complètement différente ?
  • Le biologiste et philosophe Richard Dawkins s’est intéressé à la question de la formication. Plus précisément, il constate qu’elle est au centre d’un paradoxe propre à la science moderne : nous sommes incapables, dans l’état actuel des choses, de déterminer le sens de ce comportement… mais nous savons que ce comportement a un sens. « Personne n’est certain des bénéfices de la formication, écrit-il dans The God Delusion (Pour en finir avec Dieu, Robert Laffont, 2008). Mais l’incertitude dans le détail ne doit pas empêcher les darwiniens de considérer en toute confiance que la formication doit “servir” à quelque chose. […] La sélection naturelle punit le gaspillage de temps et d’énergie. Or, on observe que les oiseaux consacrent du temps et de l’énergie à la formication. […] Si le bain de fourmis n’était pas positivement utile pour la survie et la reproduction, la sélection naturelle aurait depuis longtemps favorisé les individus qui réfrènent ce comportement. »
  • La position de Richard Dawkins a évidemment une certaine force de conviction. Mais en raison de son positivisme intransigeant, elle a aussi suscité de vives critiques – y compris sur le point spécifique de la formication. Le principal problème de la thèse, c’est qu’elle rabat tout comportement animal sur une signification univoque, réductible grosso modo à sa formulation dans un discours humain sur l’utilité. Autrement dit, cette thèse ne laisse aucune place à la manière dont l’animal interprète sa propre action. Cette barrière est sans doute impossible à franchir : nous ne saurons jamais quel sens l’animal donne à son comportement. De ce point de vue, Richard Dawkins a, en tant que scientifique, raison de ne pas s’en préoccuper. Mais il a sans doute tort de faire comme si cet espace interprétatif n’entrait pas en compte dans la vie de l’animal, en y introduisant du tâtonnement, de l’indétermination, et un certain flottement dans le règne uniforme de l’utilité. Si le bain de fourmis reste un mystère, peut-être est-ce parce qu’il l’est aussi, en partie, pour les oiseaux eux-mêmes qui s’y adonnent. 
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