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La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht. Mise en scène de Jean Bellorini aux Ateliers Berthier de l'Odéon-Théâtre de l'Europe © Polo Garat Odessa

La “Bonne âme” aux mains sales de Jean Bellorini

publié le 17 novembre 2013 5 min

Comment faire le bien dans un monde fangeux ? En se saisissant de cette interrogation brechtienne, Jean Bellorini crée un spectacle enthousiaste et animé. Dans La Bonne Âme du Se-Tchouan, il met en regard avec beaucoup d’esprit deux conceptions de la morale.

 

Comment vivre et assumer des idéaux dans un monde de misère où « la dureté est une valeur qui se nourrit des égoïsmes » ? Est-il seulement possible d’aider son « prochain » sans faire deux malheureux : son prochain, pour lequel on ne peut rien, et soi, qu’on emporte dans la misère en tendant la main ? Bertolt Brecht n’est pas franchement un candide. Il écrit La Bonne Âme du Se-Tchouan entre 1938 et 1940 dans son exil scandinave, tandis qu’il fuit la pression nazie. Il y poursuit son interrogation marxienne sur le monde contemporain et ses dérives, sur l’avenir de l’homme après la mort de Dieu.

«Dans la bonté selon Brecht, il y a aussi quelque chose qui s’est déposé de la saleté du monde, des impuretés de l’amour»

Jean Bellorini

Pas de grande thèse didactique ni d’idéologie rassurante chez ce Brecht. La Bonne Âme prend des airs de nuits de Chine qui n’ont rien de calines: l’auteur brosse une série de tableaux symboliques mettant en situation l’idéal et le principe de réalité, sondant dans une enclave expérimentale – le Se-Tchouan – toutes les situations d’exploitation de l’homme par l’homme (familiale et amoureuse, sentimentale ou professionnelle…) Conclusion? L’homme est bien un loup pour l’homme. Mais attention, réalisme n’est pas cynisme. Brecht poursuit sa parabole en réaliste, rejetant dos à dos idéalistes et nihilistes, traçant une voie tortueuse pour traverser l’existence lucidement, sinon librement. «La narration doit aider à saisir les questions, mais sans dicter les réponses», précise Jean Bellorini.

Le metteur en scène s’empare de cette inquiétude, renforce ces nuances, explore ces méandres. Il donne un nouveau souffle à cette «bonne âme», qui ne fournit pas de morale prête à l’emploi ni aucun code de conduite, bonne ou mauvaise. Et de poursuivre: «Dans la bonté selon Brecht, il y a aussi quelque chose qui s’est déposé de la saleté du monde, des impuretés de l’amour.» Jean Bellorini cultive cette impureté en plantant un décor fantasque et branlant, un univers à la Deschiens rehaussé de couleurs vives, de musiques et de numéros de foires: un réalisme trivial émaillé d’images de rêves. Le nom de la compagnie, Air de Lune, vaut un serment.

Cette bonne compagnie se compose d'une vingtaine de comédiens, auxquels il demande d’assumer «collectivement le poids et la profondeur de la tragédie». Spectacle choral, qui alterne les tableaux et les interludes, la narration et le chant, comme autant de mises à distance, La Bonne Âme montre et démontre. Jean Bellorini invite ses comédiens à s’engager sans réserve dans leurs rôle, à chercher tous chez Brecht «la tendresse à l’intérieur de la dureté», s’inquiétant de ce que pourrait être pour ici-bas une morale sans dieu – la Bonne Âme s’achève sur le jugement des dieux qui, pour finir, bottent en touche et s’en retournent dans leur «rien» bienheureux, se lavant les mains du monde humain: «Ils jettent une ombre, vos corps, dans le flot de lumière d'or. Donc permettez-nous maintenant de rentrer dans notre néant.» Brecht signale avec ironie son rejet marxien des arrières-mondes. Pas d’idéalisme qui tienne: «ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience.»

Dans un texte intitulé Victor-Marie, comte Hugo, Charles Péguy écrit quelques mots devenus célèbres, moquant ces impératifs kantiens, dont se libère Brecht :

«Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. Et nous, nos mains calleuses, nos mains noueuses, nos mains pécheresses, nous avons quelquefois les mains pleines. […] Combien de nos actions ne pourraint point être érigées, geschikt, en loi universelle, pour qui cet envoi ne présente même aucun sens ; et ce sont celles à qui nous tenons le plus, les seules à qui nous tenions sans doute ; actions de tremblement, actions de fièvre et de frémissement, nullement kantiennes, actions d’une mortelle inquiétude ; nos seules bonnes actions peut-être; nullement planes, nullement quiètes, nullement calmes, nullement horizontales; nullement législatives; nullement tranquilles, sûres de soi; nullement dans la sécurité: nullement sans remords, nullement sans regrets; des actions sans cesse combattues, sans cesse intérieurement rongées, nos seules bonnes actions, les moins mauvaises enfin, les seules qui compteront peut-être pour notre salut.»

On ignore d'où vient La Bonne Âme de Jean Bellorini. Du «Se-Tchouan», dit Brecht, dans le programme de l'Odéon. Ou serait-ce plutôt de la bienveillance des quelque vingt artistes qu'il dirige avec tact? Des élégances scénographiques qu'il dévoile? De la qualité de l'adaptation et de l’interprétation? Une certitude, c'est avec cœur et harmonie que cette belle «Âme du Se-Tchouan» glisse aux bonnes dames et aux bonshommes venus l'écouter le trouble et la joie qu'ils méritent, rappelant avec conviction que ces «pauvres bonnes actions» demeurent le seul bien de l’homme, dans le Se-Tchouan, et partout ailleurs.

 

Informations
La Bonne Âme du Se-Tchouan, de Bertolt Brecht
Mise en scène de Jean Bellorini
Traduction de Camille de la Guillonnière et Jean Bellorini
Compagnie Air de Lune
Avec : Danielle Ajoret, Michalis Boliakis, Françoise Deblock, Karyll Elgrichi, Claude Evrard, Jules Garreau, Camille de la Guillonnière, Jacques Hadjaje, Med Hondo, Blanche Leleu, Côme Malchiodi, Clara Mayer, Teddy Melis, Léo Monème, Marie Perrin, Marc Plas, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic, Damien Zanoly
Scénographie et lumière : Jean Bellorini
Costumes : Macha Makeïeff
Création musicale : Jean Bellorini, Michalis Boliakis et Hugo Sablic
Son : Joan Cambon
Maquillage : Laurence Aué
 
Odéon-Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthiers
1, rue André Suarès – 75017 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.eu
Du 7 novembre au 15 décembre 2013, du mardi au samedi à 20 heures. Dimanche à 15 heures.
De 6 € à 30 € 
 
Tournée:
TNT – Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, Toulouse
Du 9 au 19 octobre 2013 
 
Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche, Valence
Les 19 et 20 décembre 2013
 
Théâtre Firmin Gémier – La Piscine, Châtenay-Malabry
Du 7 au 12 janvier 2014
 
Espace Jean Legendre, Compiègne
Les 16 et 17 janvier 2014
 
Théâtre Liberté, Toulon
Les 23 et 24 janvier 2014
 
La Criée, Théâtre National de Marseille, Marseille
Du 29 janvier au 1er février 2014
 
Equinoxe, scène nationale, Châteauroux
Les 6 et 7 février 2014
 
Le Cratère, scène nationale, Alès
Du 13 au 15 février 2014
 
Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon
Du 19 février au 2 mars 2014
 
Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
Les 5 et 7 avril 2014

 

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