La jaillissante fontaine métaphysique de Rabelais
Pas de paroles perdues ! Tel pourrait être le mot d’ordre de ce spectacle emporté par une joyeuse déraison, sur les pas de la «folie du monde». Pas de paroles perdues, soit autant de bonnes raisons d’abuser du langage, sans jargon, avec humeur.
Jean Bellorini, qui a signé l’an passé une Bonne Âme du Se-Tchouan tout en musique et en esprit, à sauts et à gambades, reprend le souffle qui l’animait. Sa nouvelle quête ? Non plus trouver une bonne âme sur Terre pour rassurer les dieux dans un monde désenchanté, mais trouver la « fontaine métaphysique » sur l’île de la Dive Bouteille, source de tous les mots.
Ils sont treize à embarquer dans une galère qui n’a rien d’éprouvant. Une caravelle plutôt pour la vitesse et l’aisance, ou un sous-marin pour les visions périscopiques. Car il faudra, à la manière des héros grecs dans des paysages dignes des épopées, traverser terres et mers, entrer dans « la merde du monde » et croiser le fer avec des armées d’andouilles, s’envoler dans les airs, plonger sous les eaux. Cette quête carnavalesque menée tambour battant par la compagnie Air de Lune a aussi des airs métaphysiques. Car ces grands bouffons en paire de botte, slip de bain et cirés jaunes, montés sur des escabeaux ou clapotant dans une flaque, avouent chercher mine de rien l’air de tout une « possible réconciliation, comme au début de la Renaissance, de l’homme avec le monde présent ».
Jouir des mots et en rire
Et où la trouvent-ils cette réconciliation ? Dans une exultation du langage et une foi dans l’histoire, le récit, la narration. La chevauchée linguistique à la Jean Bellorini, c’est une façon d’anti-arbitraire du signe, un rappel joyeux de la concordance du mot et de l’idée, des idées avec l’homme qui les portent. Une relecture biblique, mélodique et farcesque de la Genèse, où le verbe n’est pas seulement le commencement mais aussi la mire, le but, la fin : jouir des mots et en rire. Mikhaïl Bakhtine précise dans L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-âge et sous la Renaissance : « Le principe du rire et de la sensation carnavalesque du monde qui sont à la base du grotesque détruisent le sérieux unilatéral et toutes les prétentions à une signification et à une inconditionnalité située hors du temps ». Et comme dans sa si Bonne âme, Jean Bellorini le démontre : nul sens à chercher dans un arrière-monde transcendant. Le monde, c’est le monde de l’homme.
C’est la leçon et le clou du spectacle. Jean Bellorini l’enfonce, ce clou: paroles gelées ? Oui-da ! Car, il l’écrit, c’est « aux confins de la mer de glace qu’il faut les réchauffer “contre soi” pour que les mots apparaissent. Ce sera le pivot de l’adaptation que nous en ferons : l’origine de la parole. »
« Détachement stoïque » et « joie pantagruélique », ce sont les maîtres mots de cette représentation que les « gueux emmitouflés » et les « vieux matagots, souffreteux bien enflés, torcols […] porteurs de haires, cagots, cafards empantouflés » fuieront. Car Rabelais le leur rappelle trop évidemment : mort aux sorbonagres, la pensée est ailleurs. Un point sur le i en forme de coup de pied au derrière des tristes jargonnants, qui fait chaud au cœur et ravive l’esprit. Du cœur à l’esprit, il n’y a qu’un mot.
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