“Joyland” : le bonheur sous surveillance

Peut-on vivre heureux sous le regard oppressant des autres ? C’est l’une des questions que pose Joyland, film pakistanais de Saim Sadiq sorti fin décembre, lauréat de la Palme Queer à Cannes. Une étude subtile et déchirante des mœurs au Pakistan, entre respect des traditions et désir ardent d’émancipation.

Les cœurs sont bien moroses, au « pays de la joie ». Dans Joyland, premier film pakistanais présenté en sélection officielle au Festival de Cannes et sorti le 28 décembre en France, neuf membres d’une même famille sont contraints de vivre sous le même toit à Lahore, deuxième ville du Pakistan. Sous le regard inquisiteur du grand-père et patriarche, le couple central formé par Haider (Ali Junejo), fils cadet sensible et désorienté, et Mumtaz (Rasti Faroq), femme travailleuse en quête d’autonomie, peine à trouver son bonheur. La situation s’enlise lorsque Haider tombe amoureux d’une danseuse auprès de qui il aspire à vivre librement sa sexualité…

[Cet article révèle des éléments de l’intrigue, mais pas son dénouement]

Panoptisme des sociétés traditionnelles

Dans la maison de Haider et sa famille, nul n’échappe au regard des autres. Au centre du décor, une cour à ciel ouvert où le grand-père passe le plus clair de son temps, assis sur sa chaise roulante. Tout autour, les pièces de vie permettent à chacun de voir à l’extérieur et d’être vu en même temps. Cette organisation offre une intimité quasi nulle aux personnages, encore fragilisée par l’ombre portée des voisins de ce quartier populaire densément peuplé de Lahore, où les foyers s’épient les uns les autres. Chacun est prié de respecter les règles de bienséance traditionnelles : interdiction de sortir tard – surtout pour les femmes –, interdiction de s’attarder chez le voisin ou la voisine, obligation pour les hommes de saigner à blanc un animal et d’avoir un travail « masculin », injonction pour les femmes de mettre au monde un enfant mâle…