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Des forces de police en France. © Anthony Linger/Hans Lucas/AFP

Un classique éclaire le présent

Loi sur la surveillance globale : la revanche du panoptique

Nicolas Gastineau publié le 17 novembre 2020 4 min

“Savoir être inventif et innovant afin de renforcer le continuum de sécurité.” C’est le curieux mantra de la loi “sécurité globale”, en discussion au Parlement aujourd’hui, ce 17 novembre 2020. “Continuum de sécurité” : les forces de l’ordre pourraient garder leur arme hors service, et la police municipale verrait ses pouvoirs étendus. “Inventif et innovant” : les caméras portatives des policiers pourront retransmettre en direct “le feu de l’action” à leur hiérarchie, en plus du déploiement de “caméras installées sur des aéronefs”, c’est-à-dire… de drones. Plus remarqué encore, l’article 24 : interdiction de diffuser des images d’un policier en exercice. On croyait que la surveillance verticale, où l’État voit tout et le citoyen est aveugle, avait laissé la place à une “sousveillance” – où chacun se regarde et se surveille par smartphones interposés. La loi “sécurité globale” semble restaurer l’ordre ancien : une police aux yeux augmentés, qui n’accepte plus d’être regardée. Un jeu de regard que Michel Foucault révèle dans Surveiller et Punir (1975) comme un cruel jeu de pouvoir. 

 

  • Le regard comme pouvoir. Dans Surveiller et Punir, Michel Foucault étudie le « panoptique » du philosophe Jeremy Bentham, un projet d’architecture carcérale imaginé autour d’une tour de contrôle, au centre de la prison. Un surveillant peut y voir chacune des cellules qui forment un cercle autour de lui, de telle sorte qu’à tout moment chacun des prisonniers se trouve sous le regard probable du surveillant. De là, « l’effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. » Chacun s’en convaincra dans le face-à-face avec une caméra : lorsqu’on rentre dans le champ d’un objectif, on crispe la posture, on se fait plus docile, on marche d’un pas différent. Et peu importe à la rigueur que le drone qui surplombe une manifestation filme effectivement : cet œil de la loi balayant le ciel suffirait à en imposer l’ordre. Bref, de “cette relation fictive” naîtrait… “un assujettissement réel.”
  • L’intériorisation de la contrainte. Le pouvoir du panoptique s’exerce sans la contrainte physique. Soumis au regard, on fait sienne l’exigence que contient ce regard. Et en inscrivant « en soi le rapport de pouvoir », on « devient le principe de son propre assujettissement », écrit Foucault. La loi auto-exercée, le rêve de tout gouvernant ! C’est là où Foucault est bien obligé de reconnaître que l’invention du panoptique est « une machine merveilleuse ». La loi sécurité globale dirait : “inventif et innovant”. La cible du pouvoir intègre spontanément la discipline, sans en subir la coûteuse contrainte physique. Et pour Foucault, plus le pouvoir « tend à l’incorporel », plus « ses effets sont constants, profonds, acquis une fois pour toutes. » Plus qu’elle n’encadre – ou s’apprête à justifier ? – l’exercice des violences policières, la loi de “sécurité globale” préparerait-elle… leur inutilité ?
  • Le retour de l’asymétrie. Mais “innovante”, l’est-elle vraiment ? Dans les anciens cachots, l’idée était de punir le prisonnier en le plongeant dans le noir. Le panoptique de Bentham fait beaucoup mieux : il révèle au grand jour. « La pleine lumière et le regard d’un surveillant captent mieux que l’ombre, qui finalement protégeait. La visibilité est un piège », conclut-il. Seul le surveillant, dont la présence est “invérifiable”, a l’honneur de n’être pas vu. Mais depuis Surveiller et Punir, la verticalité du panoptique avait cédé la place à une réciprocité de l’image, une “sousveillance”. Un jeu horizontal, où chacun se regarde par smartphones interposés. Une bataille de regard démocratique, donc : les policiers surveillent les manifestants qui “sousveillent” les policiers, par caméras interposées. Ainsi, la visibilité pour tous transformait-elle le piège en solution. Mais justement, en soustrayant les policiers à la lumière des caméras, en les recouvrant de son ombre protectrice, elle restaure l’asymétrie du panoptique. Retour alors de la question essentielle : qui surveillera les surveillants ?
  • En route vers le continuum. D’après l’Encyclopedia Universalis, un continuum est un “ensemble dont les éléments sont inséparables, constituent un tout”.  C’est le but de cette “sécurité globale” : mettre en place un ensemble qui court sans discontinuité des grands services de l’État jusqu’aux plus petits échelons. Michel Foucault analyse cette tendance totalisante : « Le pouvoir policier doit porter “sur tout” […], c’est la poussière des événements, des actions, des conduites, des opinions – “tout ce qui se passe” ; l’objet de la police, ce sont ces “choses de chaque instant”. » On parle volontiers en physique du “continuum espace-temps”. La loi permet aux policiers de conserver leur arme hors service, afin qu’ils l’aient le plus souvent possible : voilà pour le temps. Et pour l’espace, les policiers municipaux, qui couvrent jusqu’aux recoins du territoire national, auront des pouvoirs augmentés. Un continuum de sécurité qui est pensé en symétrie du continuum supposé de la menace terroriste : des quartiers jusqu’aux réseaux internationaux, en passant par les communautés internet, un attentat peut frapper n’importe où, n’importe quand. Il faut donc être prêt partout, tout le temps. Au risque de réaliser la prophétie de Foucault : « Une surveillance permanente, exhaustive, omniprésente, capable de tout rendre visible. [...] Elle doit être comme un regard sans visage qui transforme tout le corps social en un champ de perception : des milliers d’yeux postés partout, des attentions mobiles et toujours en éveil, un long réseau hiérarchisé. »

 

C’est dire si ce projet de loi suscite l’inquiétude.

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