Johnny Depp, le pirate qui crève l’écran

La vie mythique-réelle

« À leur apogée sur l’écran correspond l’apogée de la vie mythique-réelle des stars d’Hollywood », déclare Edgar Morin en 1957, déjà, dans Les Stars (Éditions du Seuil), son enquête pionnière sur ces êtres nouveaux, mi-réels, mi-mythiques, que produit le cinéma américain. Les célébrités vivent loin de nos repères et incarnent des êtres célestes. Les acteurs sont comme des surhommes qui n’appartiennent plus tout à fait à la condition des mortels. Mais, au travers des magazines, des revues, et désormais des réseaux sociaux… ou de procès retentissants, nous prenons aussi connaissance de leurs faits et gestes, parfois tristes et obscènes, dans ce monde-ci. Un monde où ils conservent cependant une part de l’aura qu’ils ont acquise dans l’imaginaire des écrans. « Les stars s’entraiment, s’entre-déchirent, et leurs amours confondues sont aussi fatales dans la vie que dans le film », précise Morin. C’est exactement cette confusion troublante que le procès de Johnny Depp et Amber Heard met en scène. Voilà que les héros de superproductions comme Pirates des Caraïbes ou Aquaman exposent le récit de violences conjugales, mêlant drogue, adultère, alcool et dépression. Le procès dévoile le train de vie complètement faramineux des stars, l’achat de yachts, de nombreuses propriétés ainsi que de 45 voitures de luxes. Loin de notre terre-à-terre, leur vie bouleverse l’équilibre du réel et de l’irréel et rejoint la fiction. L’acteur absorbe le caractère surnaturel du personnage du film, et réciproquement, le personnage contamine l’acteur. Submergé par son image, le public s’attend à ce que la célébrité mène une vie cinématographique, mais se réjouit en même temps de percer à jour ses turpitudes, humaines trop humaines. En l’occurrence, le célèbre pirate est-il devenu « trop grand pour le cinéma devenu trop petit » ?