Jean Harambat : “La caverne de Platon ? Une véritable usine à gaz !”

Vous avez illustré l’allégorie de la fameuse caverne pour le tout nouveau hors-série de Philosophie magazine consacré à Platon. Quelle lecture en avez-vous faite ?   

Jean Harambat : J’avais lu la République et l’allégorie de la caverne d’abord assez superficiellement en khâgne, puis de manière plus approfondie lors de mes études de philosophie. Mais j’avais oublié combien elle est complexe. En comparant notre rapport avec le monde sensible à celui d’une caverne dans laquelle nous serions enchaînés, Platon en vient à mettre au jour la fabrique de nos images – une véritable usine à gaz en réalité. Comme dessinateur, on a souvent envie d’épurer les choses, de simplifier. Mais, ici, il fallait respecter les différents niveaux que Platon distingue. Car il n’y a pas que l’opposition entre l’espace de la caverne et de ses illusions et l’espace du monde vrai du dehors. Un niveau intermédiaire apparaît qui rend tout le dispositif beaucoup plus subtil : celui de ces bonshommes derrière les prisonniers qui fabriquent et transportent des objets artificiels à l’intérieur même de la caverne, devant un feu qui est comme la réplique du Soleil. Qui sont-ils ? Pourquoi transportent-ils ces objets ? C’est assez mystérieux. Il font apparaître un niveau intermédiaire entre le monde sensible et le monde des idées, qui est celui des artefacts, des conventions. Je suis tenté de penser que les porteurs d’objets sont les artistes et les législateurs, parce que, pour Platon, on ne peut pas vivre sans fables ni sans lois et que les récits sont des fables sur les lois… On ne peut pas vivre sans ombre, dans la transparence pure. Les hommes ont besoin de s’appuyer sur des conventions et des croyances, comme le langage, pour apprendre à vivre et à penser ensemble. Ces conventions sont des images d’images. Mais celui qui a le désir de vérité ne peut prendre ces ombres pour argent comptant. Et en doutant de leur vérité, il met en question la forme de vie de ses concitoyens. Ce qui crée une tension irréductible entre la Cité et la philosophie.