Jacques Derrida: la déconstruction
En 1964, Glenn Gould cesse de donner des concerts pour se consacrer à l’enregistrement en studio. Il peut ainsi composer un morceau à partir de multiples prises : si tel decrescendo est imparfait, il le remplace par un autre enregistrement, jusqu’à obtenir le résultat souhaité – même si le musicien apparaît, au final, « constellé de Scotch de montage » (Gould). Le live, le concert « unique », l’interprétation « historique » : Glenn Gould a compris que tout cela a un air paradoxal de… déjà vu. Il sait qu’avec les technologies d’enregistrement, le problème de l’artiste n’est plus la performance, mais la répétition : comment pouvoir être entendu une nouvelle fois ? Comment survivre à la répétition infinie que génère chaque nouvel auditeur lorsqu’il écoute les Variations Goldberg sur son iPod ?
Jacques Derrida en 6 dates
- 1930 Naît le 15 juillet à El Biar, près d’Alger
- 1956 Reçu à l’agrégation de philosophie
- 1967 Publie L’Écriture et la Différence, La Voix et le Phénomène et de De la grammatologie
- 1975 Commence à enseigner à Yale, aux Etats-Unis
- 1983 Cofonde le Collège international de philosophie
- 2004 Meurt le 9 octobre, à 74 ans
Dans les mêmes années où Glenn Gould développe son génie du « Scotch », Jacques Derrida publie De la grammatologie et L’Écriture et la Différence (1967). Quel rapport entre ce philosophe et ce musicien ? Une manière de remettre en cause radicalement le champ auquel ils appartiennent. Une vue – ou une écoute – prophétique concernant la question des traces enregistrées et des télé-technologies (c’est-à-dire les technologies permettant d’agir ou de communiquer à distance, de la télévision à Internet, de la messagerie instantanée au télétravail). Une remise en cause du mythe de la présence. Autrement dit, une déconstruction. Ce terme est rattaché au mouvement philosophique initié dans les années 1960 par Derrida, un mouvement qui a connu un succès considérable aux États-Unis, investissant les départements de français puis de littérature comparée dans les années 1980. On dit le style de Derrida difficile ; il est vrai qu’il a tenté de forger une manière d’écrire qui pourrait rendre compte des innovations philosophiques qu’il proposait. Il ne fut pourtant pas le premier à travailler sur les limites de la philosophie et de la littérature (pensons à Diderot ou à Nietzsche). Essayons de comprendre la manière dont ces limites ont été singulièrement affectées par ladite « déconstruction ».
L’absence dans la présence
Traduction « déplaçante », comme le dit Derrida, d’un concept venu de Heidegger (Destruktion), la déconstruction est d’abord et avant tout une critique de la « métaphysique de la présence », qui privilégie toujours la présence sur l’absence – le live sur l’enregistrement, la voix sur l’écrit, l’intimité sur ce qui est au dehors, le propre de soi sur ce qui est étranger. Le privilège accordé à la voix est lié au sentiment qu’elle procure : quand je parle, il me semble être présent à moi-même et pouvoir exprimer directement mes pensées, sans médiations – sans médias. Au contraire, l’écrit introduirait une distance : si ma voix est le signe de ma pensée, alors l’écrit serait un signe second, le signe d’un signe, une pensée amoindrie, loin de sa source.
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Tel écrit qui croit comprendre Jacques Derrida quand il évoque l’écriture. Pas de panique, on a suivi son texte à la trace.