Isaac Asimov : “Il se pourrait que le remplacement de l’humanité par des ordinateurs soit un phénomène naturel”
Maître incontesté de la science-fiction dont le magnus opus, Fondation, vient d’être porté à l’écran dans une série diffusée par Apple TV+, Isaac Asimov fut aussi un essayiste avant-gardiste et un penseur soucieux de l’avenir du monde et de l’être humain. Retour sur une réflexion qui n’a rien perdu de son actualité dans un grand entretien posthume. Prosopopée… verbatim.
Les réponses d’Isaac Asimov, très légèrement éditées pour la fluidité du propos, sont tirées de son recueil d’essais The Roving Mind (« La Pensée vagabonde », 1983).
Les grands défis de l’humanité sur Terre
Quel est le problème majeur auquel doit faire face l’humanité aujourd’hui ?
Isaac Asimov : L’humanité a vécu dans la violence pendant des milliers d’années. Cette ancienne violence qui nous envoûte doit cesser ! Non pas parce que les êtres humains seraient devenus bons, doux et gentils ; nous devons nous débarrasser de la violence pour la simple raison qu’elle ne sert plus à rien, mais nous oriente tous dans une direction néfaste. Les ennemis humains ne sont plus la principale menace pour la survie du monde. Les nouveaux ennemis auxquels nous faisons face aujourd’hui – surpopulation, famine, pollution, pénurie – ne peuvent être combattus par la violence. Il n’y a aucun moyen d’écraser ces ennemis, de les faire exploser ou de les vaporiser. Si doivent être vaincus ces adversaires qui menacent le monde entier, l’humanité entière, et non une tribu ou une région, ce doit être par la coopération humaine et la détermination mondiale.
La Terre est à bout de souffle ? Combien d’êtres humains peut-elle encore supporter ?
La réponse à cette question ne peut être que courte et terrifiante : moins qu’il n’en existe aujourd’hui ! La Terre ne peut pas supporter sa population actuelle – au niveau de vie d’un Américain moyen. La technologie ne peut pas s’améliorer davantage pour repousser ce seuil. Que va-t-il alors se passer si les choses continuent à l’identique ? Nous assisterons à un déclin continu du bien-être de l’être humain sur Terre. Désespérant d’inverser la tendance, nous ferons sans doute de folles tentatives pour accélérer, quoi qu’il en coûte, le moteur technologique, ce qui finira par polluer davantage l’environnement et diminuera la capacité de ce moteur à soutenir l’humanité. On aboutira nécessairement, au bout du compte, à une intensification de la jungle humaine.
“Avec une informatisation complète, le monde fonctionnera de lui-même avec une supervision humaine minimale, et la majeure partie de la pensée et de l’énergie humaines pourra être consacrée à étendre et à intensifier la structure de la société”
Concrètement, que devons-nous faire pour affronter ces enjeux ?
Dans le monde qui est le nôtre, où pour la première fois dans l’histoire nous avons atteint, ou sommes en passe d’atteindre nos limites, nous devons accepter la réalité de ces limites. Nous devons limiter la pression que nous exerçons sur les ressources de la Terre, limiter les déchets que nous produisons, limiter l’énergie que nous utilisons. Nous devons préserver l’environnement, préserver les autres formes de vie qui contribuent au tissu et à la viabilité de la biosphère. Nous devons également modifier notre attitude envers la croissance. L’idée que « plus c’est grand, mieux c’est », qui a porté l’humanité à travers les millénaires, doit être abandonnée. Mais surtout, nous devons réduire notre taux de natalité. Nous devons entrer dans le XXIe siècle avec un taux de natalité négatif. Puisque le sexe ne peut pas être supprimé, il doit être séparé de la reproduction. Le contrôle des naissances doit devenir la norme et le sexe doit devenir un acte social et interpersonnel plutôt qu’un acte centré sur l’enfant.
Cela ne suppose-t-il pas, aussi, de transformer notre vision de la condition féminine ?
Pendant la majeure partie de l’histoire humaine, un taux de natalité élevé a été nécessaire à la survie. Dans notre monde surpeuplé, nous ne pouvons plus nous comporter comme si la seule fonction de la femme dans la vie était d’être une machine à produire des bébés. Un monde à taux de natalité élevé signifie l’asservissement des femmes. Sans l’asservissement des femmes, nous ne pouvons pas avoir un monde à taux de natalité élevé. Alors, qu’en est-il d’un monde à faible taux de natalité ? Dans un tel monde, les femmes seront-elles libérées ? Oui, elles le seront. Ce n’est même pas une question de choix. Elles doivent être libres.
“Si, dans un monde à faible taux de natalité, nous voulons affranchir les femmes de la crèche, nous devons leur proposer un autre modèle existentiel. On ne peut pas remplacer quelque chose par rien”
Comment éviter que cette dénatalité soit vécue comme une punition ?
Avoir des bébés a ses aspects positifs ; le processus est une expérience enrichissante ; les bébés sont adorables. Ne pas les avoir laissera un vide indéniable dans les besoins émotionnels de femmes qui ont été amenées à croire qu’elles vivaient pour être mères. Si cet écart n’est pas comblé, si l’espace est laissé vide, alors, sans aucun doute, les femmes continueront de vouloir des enfants, et s’efforceront d’en avoir. Si, au XXIe siècle, nous voulons affranchir les femmes de la crèche, nous devons leur proposer un autre modèle existentiel. On ne peut pas remplacer quelque chose par rien. Il faut remplacer quelque chose par quelque chose – à commencer par l’égalité des chances quand il s’agit d’entrer dans n’importe quelle branche de l’industrie, de la politique, de la religion, de la science ou des arts.
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