Kim Stanley Robinson. L’homme qui veut changer le futur

La COP28, qui s’est achevée en décembre aux Émirats arabes unis, a distribué plus de 2 500 accréditations aux promoteurs des énergies fossiles. Son président Sultan al-Jaber a déclaré : « Montrez-moi la feuille de route d’une sortie des énergies fossiles qui soit compatible avec le développement socio-économique sans renvoyer le monde à l’âge des cavernes. » La COP29 en Azerbaïdjan, elle, sera présidée en novembre prochain par Mukhtar Babayev, ex-magnat du gaz. Est-il bien raisonnable de confier les clés du poulailler aux renards des énergies carbonées ? Nous avons proposé ce paradoxe à l’une des grandes voix américaines de la lutte contre le réchauffement climatique, Kim Stanley Robinson, auteur de science-fiction formé en philosophie et spécialiste de prospective. À l’occasion de la parution en France de son roman, Le Ministère du futur (Bragelonne, 2023), nous l’avons également interrogé à propos des défis que devrait relever une instance internationale chargée de planifier les actions nécessaires face au changement climatique. Optimiste par conviction, cet homme de gauche – utopiste comme son maître le philosophe Fredric Jameson – défend dans son livre une économie politique keynésienne et post–capitaliste, dans laquelle les activités de décarbonisation sont plus rémunératrices que toutes autres. L’humanité peut sortir de la crise climatique par le haut, voilà son espoir !

KIM STANLEY ROBINSON EN 6 DATES
1952 Naissance le 23 avril à Waukegan dans l’Illinois
1982 Thèse de doctorat sur Philip K. Dick à l’Université de San Diego 
1994 Prix Hugo du meilleur roman de science-fiction pour Mars la verte
2008 Désigné « héros de l’environnement » par la revue Time Magazine
2016 L’astéroïde 72432 découvert en 2001 est baptisé Kimrobinson 
2018 Prix Arthur-C.-Clarke de l’Imagination au service de la société remis pour l’ensemble de son œuvre

Quelles réflexions vous inspirent les présidences des dernières COP ? Faut-il craindre que la politique énergétique à venir soit pilotée au niveau supra-gouvernemental par de grands lobbys pétroliers ?

Kim Stanley Robinson : Le processus de la COP fonctionne selon ses propres règles, indépendamment des pays qui l’accueillent. Deux règles sont importantes à cet égard : la déclaration finale doit être approuvée chaque année par toutes les parties au congrès, et, chaque année encore, le congrès est tenu d’augmenter et d’améliorer ses promesses en matière de lutte contre le changement climatique. Ces deux principes sont toujours en vigueur, et des progrès substantiels ont été réalisés dans l’extension des promesses faites par les membres de la COP28. Je suis sûr qu’il en sera de même lors de la COP29.

Le contexte est tout de même surprenant, non ? 

Bien sûr, le contexte est important, mais il est gigantesque – c’est l’histoire du monde elle-même, à ce stade ! Chaque année, les réunions de la COP servent à attirer l’attention sur le réchauffement climatique en mettant l’accent sur les progrès et les obstacles, ainsi que sur les contributions des différents pays. La nature de ces contributions souligne d’ailleurs les différences entre pays riches et pays pauvres. Ces deux semaines d’attention supplémentaire sont une bonne chose. Le militant écologiste Bill McKibben a qualifié les COP de tableau d’affichage, alors que l’histoire du monde est le jeu ; ce n’est pas faux, mais je pense aussi que les COP sont la réécriture des règles du jeu, avant de rejouer le jeu – et il y a beaucoup de tricherie.

Vous pensez aux tricheries des pétro-États ? 

Plus de 50 % des revenus gouvernementaux des pétro-États sont issus de la vente de combustibles fossiles, qui sont ensuite brûlés. 75 % des combustibles fossiles identifiés sur la planète appartiennent à des gouvernements. Je rappelle que nous pouvons brûler 500 gigatonnes de plus avant de dépasser l’augmentation des températures de 2 °C et les limites planétaires au-delà desquelles la biosphère serait gravement endommagée. Or nous avons identifié environ 3 000 gigatonnes de combustibles fossiles dans le sous-sol. Évidemment, chaque pétro-État espère continuer à vendre ses actifs aussi longtemps que possible afin d’éviter la faillite. S’ils le font tous, c’est un désastre ! Certes, ces États ont promis dans l’accord de Paris de ne pas le faire, mais loin des réunions de la COP, ils essaieront quand même…