Internet, nouvelle zone de combats?

C’était comment, l’histoire, avant Internet ? Difficile de comprendre le soulèvement iranien de 2009, les révolutions arabes, la révolte des tentes en Israël, la fronde contre Poutine, les Indignés et Occupy Wall Street, les Anonymous, WikiLeaks, les partis pirates, le printemps d’érable au Québec, les premiers dégâts de la cyberguerre sans oublier ce qu’on appelle aussi le cyberespace. Nous avons d’ailleurs tendance à prêter les mêmes qualités à Internet et au nouveau cours des choses : accélération du temps, effacement des frontières, disparition des grands hommes au profit d’activistes influents sans pouvoir durable, spontanéité des actions en marge des circuits politiques traditionnels, exigence de transparence des informations et de liberté des opinions… Internet permettrait de nouvelles pratiques, immédiates et contributives, qui feraient avancer l’histoire en la soustrayant aux forces de contrôle traditionnelles – États, institutions, pouvoirs économiques et sociaux. Certains y voient même le principal vecteur de démocratisation du monde. On salue les « révolutions Facebook ». Comme l’affirme Hillary Clinton lors d’un discours tenu en 2010 sur la liberté numérique, « dans les pays autoritaires, les réseaux d’information aident les gens à découvrir de nouveaux faits et à rendre les gouvernements plus comptables de leurs actes ». Pour l’ancien Premier Ministre britannique Gordon Brown, un génocide au Rwanda serait rendu impossible aujourd’hui par la diffusion d’informations, par exemple sur Twitter. L’hypothèse d’une fin de la fin de l’histoire grâce au réseau est tentante. Internet fait surgir un nouveau modèle de compréhension du futur. Selon ce schéma, le monde est constitué d’individus autonomes, librement connectés entre eux, qui échangent leurs points de vue et les informations dont ils disposent. Ils s’assemblent parfois en nœuds agissants dont les effets sont constatables par tous : campagne en ligne qui influence un vote ou fait échouer un projet économique, manifestations conçues sur les réseaux sociaux… Bref, une réactualisation des projets de paix perpétuelle par la démocratie et grâce à Internet. Demandons à des spécialistes des réseaux s’ils partagent cette vision d’un monde devenu horizontal, ouvert, transparent et plus libre.

Cliquer n’est pas voter

Depuis ses origines, Internet est bien un « laboratoire, à l’échelle planétaire, des alternatives à la démocratie représentative », nous explique le sociologue Dominique Cardon, auteur de La Démocratie Internet (Seuil, 2010). Selon lui, « situé entre le marché et l’État, Internet donne aux individus des pouvoirs d’expression, de mise en conversation et de formation de leurs propres règles de fonctionnement ou de discussion qui se situent en dehors de la démocratie représentative traditionnelle ». Il est clair que « nos rapports sociaux sont révolutionnés par l’apparition du cyberespace », nous confirme le géopolitologue et stratégiste Olivier Kempf, qui vient de faire paraître une Introduction à la cyberstratégie (Economica, 2012). Les réseaux constituent le nouveau support d’une histoire où se joue depuis des siècles « la poursuite de notre long processus d’individualisation ». Dans cette perspective, « nous ne sommes plus seulement des consommateurs, mais des acteurs, des prescripteurs, des émetteurs. De nouveaux mouvements politiques apparaissent, qui sont rendus possibles par le cyberespace. Le mouvement québécois montre l’organisation de manifestations et de mots d’ordre, mais également la structuration des idées et les réponses à un discours auparavant centré par des émetteurs institutionnels. Quelque chose de résolument horizontal est permis par ces technologies, avec des effets politiques inédits. »