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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Manifestation à Nanterre (92), dans la banlieue ouest de Paris, le 29 juin 2023. © Michel Setboun/SIPA

Gavroche à Nanterre

Michel Eltchaninoff publié le 04 juillet 2023 4 min

« Vous aussi, vous avez mal dormi ? Ce doit être la pleine lune. En plus, les incendies, partout dans le pays, et les détonations des feux d’artifice, qui ont pris de l’avance cette année, empêchent de fermer l’œil. Mais ce qui trouble le plus en ce début d’été, c’est la violence qui explose dans les actes et les paroles.

Depuis mardi dernier, les sentiments les plus sombres s’emparent de la société : la colère d’abord, avec ce policier qui tue un jeune homme de 17 ans lors d’un contrôle, et cette enquête ouverte à l’encontre de Nahel pour “refus d’obtempérer” et “tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique”, alors que la vidéo présente un tout autre scénario que celui avancé par la police ; la sidération et la peur quand les émeutes se répandent dans le pays entier, jusque dans les petites villes ; la consternation devant les pillages ; l’indignation quand le domicile d’un maire est attaqué… Et le dégoût, lorsque les politiques se mettent à vociférer, lorsque des syndicats de policiers publient un communiqué sur “les hordes sauvages”, les “nuisibles” qu’il faut “mettre hors d’état de nuire”. Ou encore quand la cagnotte en faveur du policier mis en examen s’envole, histoire de provoquer plus de haine.

Très rapidement, l’horreur de voir un jeune tué par la police s’est muée en échanges d’arguments. Chacun doit prendre parti, choisir les faits qu’il posera en haut de sa pile. À vitesse grand V, on a transformé une tragédie, qui a des causes sociales et politiques, en bataille rangée indécente et dangereuse. Au point que certains minimisent l’homicide de Nahel en critiquant l’attitude d’une mère qui vient de perdre son fils, ou en refusant d’examiner ce qui pourrait clocher dans la formation et l’action des policiers. Il y a de quoi mal dormir.

Comme je n’arrivais pas à trouver les mots pour exprimer ce qui me choque, j’ai ressorti un recueil de vers de Victor Hugo, L’Année terrible (1872). Après tout, nous sommes peut-être, nous aussi, en train d’en traverser une. Le poète la situe en 1870 et 1871, entre la défaite de la France face à la Prusse et l’écrasement de la Commune de Paris. Hugo constate, anxieux, l’affrontement de deux rages : “Soit. De ces deux pouvoirs, dont la colère croît / L’un a pour lui la loi, l’autre a pour lui le droit.” Évoquant la fracture entre les forces étatiques repliées à Versailles et les insurgés parisiens, il écrit : “Nous vivons dans des temps sinistres et nouveaux, / Et de ces deux pouvoirs étrangement rivaux / Par qui le marteau frappe et l’obus tourbillonne, / L’un prend l’Arc de Triomphe et l’autre la Colonne !” (il s’agit de la Colonne Vendôme détruite par les communards).

Hugo manifeste de la sympathie pour les insurgés, mais condamne les incendies et les destructions de bâtiments officiels, notamment des écoles ou des bibliothèques. Le poète pourrait s’adresser à un émeutier en face de la médiathèque fumante, à Metz : “Tu viens d’incendier la Bibliothèque ? / Oui. / J’ai mis le feu là. / − Mais c’est un crime inouï ! / Crime commis par toi contre toi-même, infâme ! / Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme ! / C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler ! Ce que ta rage impie et folle ose brûler, / C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage !” Hugo croit encore au progrès et à l’éducation pour tous – alors qu’aujourd’hui, deux millions d’élèves d’origine modeste sont en difficulté scolaire. Mais après cette leçon de morale, Hugo lance : “Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute ! / Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir, / Le droit, la vérité, la vertu, le devoir, / Le progrès, la raison dissipant tout délire. / Et tu détruis cela, toi ! / − Je ne sais pas lire.”

L’auteur des Misérables en vient donc aux causes premières de cette situation insurrectionnelle : la pauvreté. Et pointe les responsables de la souffrance populaire : “Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire / À vous tous, que c’était à vous de les conduire, / Qu’il fallait leur donner leur part de la cité, / Que votre aveuglement produit leur cécité, / D’une tutelle avare on recueille les suites, / Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.” Constatant, amer, que “Personne n’est méchant, et que de mal on fait !”, il résume sa pensée en quelques mots qui s’appliquent malheureusement si bien aux événements actuels : “Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte.”

Voilà où nous en sommes – en attendant pire. Mais je relirai ce poème ce soir. Au moins aura-t-il fixé mes sentiments. Et, par sa beauté, il m’aidera peut-être à mieux dormir. »

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