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Centrale de Fukushima en 1999 (cc) kawamoto takuo / Flickr

International

Fukushima, 5 ans après: du temps pour penser les plaies

Victorine de Oliveira publié le 12 mars 2016 4 min
Le 11 mars 2011, le Japon faisait face à un accident nucléaire majeur et à l’une des plus graves crises de son histoire. Depuis, la réflexion sur l’atome s’intensifie, sur l’Archipel comme en Europe.

D’abord un séisme de magnitude 9, puis un tsunami et la centrale nucléaire de Fukushima-Daichi touchée par des vagues de plus de 10 mètres entraînant explosions, percement de la cuve d’un des réacteurs et début de fusion des cœurs : tel est le terrible enchaînement d’événements qui aboutit le 11 mars 2011 à ce que l’on appelle désormais génériquement « Fukushima ». Le bilan est lourd : 18 500 personnes mortes et disparues, 470 000 autres déplacées, dont 182 000 vivent encore hors de chez elles. Le géographe Philippe Pelletier note sur son blog que « ce nom de lieu […] dépasse largement sa sphère géographique pour constituer, par métonymie, un topos générique, global et symbolique à l’instar des villes d’Hiroshima et de Nagasaki ». Comme ces deux villes frappées en août 1945 chacune par une bombe atomique, et l’accident nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) en 1986, Fukushima rejoint le club très fermé des catastrophes capables de sidérer, suspendre, puis relancer la pensée.

 

Catastrophe civilisationnelle

Dans une conférence prononcée en décembre 2011 et publiée depuis aux éditions Galilée, le philosophe Jean-Luc Nancy s’interroge sur les répercussions philosophiques de l’événement. « Fukushima est exemplaire. Un séisme et le tsunami qu’il entraîne deviennent catastrophe technique, puis séisme social, économique, politique et enfin philosophique. […] Il n’y a plus de catastrophe naturelle, il n’y a qu’une catastrophe civilisationnelle qui se propage à toute occasion », remarque-t-il, concluant à la difficulté de penser une chaîne d’événements globalisés. « Il nous revient après Fukushima, à cause de Fukushima, d’ouvrir d’autres chemins, au dedans ou au dehors de cette culture qui se saborde elle-même » : si le nucléaire n’est pas directement mis en cause dans l’analyse du philosophe, c’est pourtant bien cette forme d’énergie et la priorité qui lui est accordée au Japon comme en Europe qui concentre les débats depuis cinq ans.


Intervention de Jean-Luc Nancy entre 13’24 et 45’38
 

Dans un entretien récemment accordé à Libération, Naoto Kan, Premier ministre japonais en poste en 2011, souligne des dégâts qui n’ont pas fini d’être réparés (notamment les écoulements d’eau radioactive), une région contaminée pour des dizaines d’années, un accident aujourd’hui « pas terminé dans la mesure où il y a toujours du combustible en fusion dans les réacteurs ». L’ancien chef du gouvernement nippon dresse par ailleurs un constat sévère sur les liens entre le secteur privé du nucléaire et les pouvoirs publics : « Le nucléaire doit être maîtrisé par les politiques, Et pour que ce soit le cas, il faut une vraie démocratie, complète. Or, aujourd’hui, au Japon, ce n’est pas possible. […] Par le passé, aucune démocratie n’a été en mesure de contrôler complètement le nucléaire. » Le philosophe Ken’ichi Mishima ne disait pas autre chose lorsqu’il fustigeait dans nos colonnes en 2011 « la cannibalisation de la vie politique » par le lobby du nucléaire, « l’apathie politique généralisée » et « la collusion de l’État et du grand capital ».

Par conséquent, Naoto Kan invite à se tourner vers le solaire et la biomasse, s’inscrivant en faux par rapport à l’actuel Premier ministre Shinzo Abe. Lors d’une conférence de presse donnée à la veille du 5e anniversaire de Fukushima, ce dernier a déclaré que la Japon « ne peut se passer de l’énergie nucléaire », alors même que des sondages réguliers montrent une forte opposition de la population à la relance des centrales.

 

Mémoire symbolique

Le démantèlement du site de Fukushima devrait prendre entre trente et quarante ans selon les experts de Tepco (Tokyo Electric Power Company), seul 10% du travail de nettoyage ayant été à l’heure actuelle accompli. Des ONG avancent d’ores et déjà des chiffres inquiétants quant à l’augmentation du nombre de cancers, notamment de la thyroïde chez les enfants voisins des zones contaminées. Sont également concernés les employés de Tepco affectés à la centrale, mais aussi l’ensemble de la population : entre 9 600 et 66 000 nouveaux cas de cancers pourraient se déclarer au Japon dans les prochaines années.


 

Un accident de quelques heures mais des répercussions à l’échelle de plusieurs vies humaines : c’est ce qui a poussé un collectif à publier en 2012 un appel international pour classer Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima comme crimes contre l’humanité. « Les catastrophes atomiques ont ceci de particulier qu’elle délimitent toujours une fracture multidimensionnelle de l’histoire du vivant », analysent les auteurs. Elles creusent « un trou dans la mémoire symbolique des humains » tout en polluant l’avenir car de telles catastrophes n’ont « pas de fin, pas de terme prévisible ». Reprenant le concept de banalité du mal d’Hannah Arendt, les signataires accusent l’industrie nucléaire de ne pas s’interroger sur les fins humaines de son activité, soumise qu’elle est à l’impératif aveugle de la rentabilité.

S’il n’est pas encore question de crime contre l’humanité dans le traitement judiciaire de Fukushima, une commission d’enquête parlementaire a toutefois classé l’accident comme « désastre crée par l’homme ». Loin d’être une catastrophe naturelle dans laquelle personne n’aurait de responsabilité, Fukushima met en évidence « la complaisance, l’absence de remise en cause de la hiérarchie, la collusion et la culture de groupe », selon le président de la commission Kiyoshi Kurokawa. Le traumatisme est tel que, sur les 43 réacteurs nucléaires exploitables au Japon, seuls deux restent actuellement en service. La justice a même empêché, le 9 mars dernier, le redémarrage de deux réacteurs supplémentaires.

 

Hiroshima est partout

Autant de réflexions qui portent jusqu’en Europe, notamment en Allemagne, où la sortie progressive du nucléaire a été annoncé par la chancelière Angela Merkel, et en France, où l’ombre de Fukushima plane sur la centrale de Fessenheim, la plus ancienne du parc français, et la polémique autour de son arrêt.

En 1959, le philosophe Günther Anders écrivait dans Thèses pour l’âge atomique : « Le 6 août 1945, le jour du bombardement d’Hiroshima, un nouvel âge a commencé, celui dans lequel, à n’importe quel instant, n’importe où, nous pouvons nous transformer, non, toute notre terre peut se transformer en un Hiroshima ». De quoi affirmer qu’ « Hiroshima est partout », un constat renouvelé en 1986 avec l’idée que « Tchernobyl est partout ».  Et aujourd’hui avec Fukushima ?
 

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