François Laruelle : la musique des concepts

Je suis né dans une ferme des Vosges que les innovations technologiques n’avaient pas atteinte. J’ai trouvé néanmoins dans un grenier une grammaire latine et une pièce de Schiller, qui manifestaient un autre monde que celui de nos quelques vaches. Pendant la guerre, mon frère et moi avons été séparés d’une mère tuberculeuse alors que notre père était prisonnier près de Hambourg, rentré juste à temps pour revoir sa femme vivante. J’avais une tante près de la frontière suisse qui possédait une petite radio capable de capter l’émetteur de Sottens. C’est là que j’ai eu un choc musical : la pastorale de Beethoven, choc qui a marqué ma vie et mon œuvre. Mon origine paysanne me semblait rendre impossible une carrière en musique ; mais grâce au concours d’instituteur réussi à Paris à l’âge de 17 ans, j’ai pu accéder aux études, et j’ai choisi la philosophie, qui se présentait comme la plus « noble » des disciplines. Je suis devenu un équivalent de compositeur, mais en philosophie. Ma thèse principale, « Économie générales des effets d’être », était ma première tentative pour traiter la philosophie sans son autorité et sa suffisance classiques, tentative qui imprima aussi toute mon œuvre. Clémence Ramonés, membre du jury, me dit : « Vous faites de la musique avec des concepts, cela me met en joie et en fureur. »