François Jullien : comment rouvrir le possible dans nos vies ?

À travers deux nouveaux livres, publiés simultanément, François Jullien s’emploie à « rouvrir des possibles » dans nos vies, en évacuant tout ce qui les encombre. Pour « vivre enfin », apprenons à dé-coïncider avec soi, à nous écarter de nos manières fixes de penser et d’agir.

Comme la majorité des penseurs contemporains, interrogeant et esquissant des chemins possibles pour se libérer de nos multiples impasses, François Jullien fait depuis des années le constat de notre incapacité à tracer un grand plan d’avenir pour l’humanité. « Nous ne sommes plus capables de modéliser un Bien public », écrit-il dans son nouvel essai Rouvrir des possibles. Dé-coïncidence, un art d’opérer (L’Observatoire, 2023), qui prolonge un texte récent, Politique de la décoïncidence (Éditions de l’Herne, 2020). De Leibniz et sa théorie des « mondes possibles » à Bergson (Le Possible et le Réel), le « possible » traverse l’histoire de la philosophie moderne et contemporaine, comme le confirment les récents livres de Laurent Jeanpierre et Haud Guéguen (La Perspective du possible, La Découverte, 2022) ou de Tristan Garcia (L’Architecture du possible, PUF, 2021).

Mais à l’inverse des philosophes de son temps, François Jullien creuse l’inquiétude contemporaine de manière oblique et discrète, en se détachant d’un diagnostic frontalement politique, en travaillant une voie existentielle ténue, infra-politique pourrait-on dire, dont l’intensité serait une ressource suffisante pour apaiser nos tourments. Convaincu qu’il faut aujourd’hui « faire autre chose » que s’agiter stérilement pour transformer le monde, Jullien, qui ne cesse de travailler la question de l’écart, appelle à « rouvrir des possibles » dans nos vies. Comment ? En repérant d’abord « ce qui obstrue le présent, y fait blocage, de façon à le fissurer […] Et le fissurant, y rouvrir des possibles ».