Fragonard : retrouvailles avec “Un philosophe” disparu
Du peintre Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), nous connaissons surtout Les Hasards heureux de l’escarpolette, Le Verrou ou La Lettre d’amour, c’est-à-dire des tableaux qui dépeignent des scènes bucoliques ou frivoles célébrant les jeux amoureux ou galants, volontiers empreints d’érotisme. Mais voici que vient d’être retrouvée chez un particulier une toile du maître qui avait disparue depuis plus de deux cents ans et qui représente…. Un philosophe lisant.
Qu’est-ce que ce tableau, qui sera mis aux enchères le 26 juin à Épernay – pour une estimation qui monte à 2 millions d’euros – nous donne à voir de la philosophie ?
Le cliché du philosophe studieux
Au premier abord, le personnage identifié comme « philosophe » est un vieil homme studieux, le crâne dégarni, assis à son chevet de travail, en train de lire un grand livre ouvert devant lui, accoudé à deux autres et pointant du doigt un feuillet. Le blanc de ses rares cheveux en bataille répond aux pages blanches écornées de l’ouvrage, et c’est entre eux que se concentre la lumière qui fait contraste avec un fond gris brumeux. À peine repère-t-on une sorte de petit globe terrestre à l’arrière-plan, comme pour reléguer le monde très loin derrière.
Un philosophe en action
Mais quelle vivacité dans cette figure de philosophe ! La virtuosité du pinceau de Fragonard est saisissante : ce philosophe-là ne médite pas dans un recueillement intérieur mais semble activement chercher sa proie dans ce qu’il lit, comme un chasseur. Sa fougue s’observe dans le mouvement imprimé à son austère vêtement, dont le col se dresse d’une manière très étrange. Son accoudement peu conventionnel, son œil bien ouvert fixé sur le livre, sa posture inclinée vers l’avant, sa gorge tendue et, surtout, la touche rouge vermillon sur sa joue droite expriment toute la frénésie qui l’anime. Quant aux lignes d’écriture du livre, elles forment des sinusoïdales qui nous font aujourd’hui penser aux appareils médicaux qui mesurent le rythme cardiaque. Tout, dans ce tableau, magnifie la vie, intense, de l’esprit.
Libido sciendi
Ce que Fragonard, peintre du désir, représente ici, c’est le « désir de savoir » qui définit la philosophie, ou plus exactement ce que Blaise Pascal (à la suite de saint Augustin) appelle la « libido sciendi ». À côté de la libido sentiendi (désir des sensations corporelles) et de la libido dominandi (désir de domination), la libido sciendi est une forme de concupiscence qui correspond à la curiosité, à la volonté de connaître ce qui nous échappe – et que peut-être nous n’avons pas à savoir. En ce sens, Un philosophe lisant de Fragonard est bien une représentation de ce que la recherche philosophique peut offrir d’exaltation et de plaisir.
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