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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Budka Damdinsuren/Unsplash

“Flemme…” : une nouvelle épidémie ?

Martin Legros publié le 14 novembre 2022 4 min

C’est l’un des mots que Martin Legros entend tout le temps dans la bouche de ses enfants, quand il leur propose d’aller faire une promenade en forêt le week-end – ou qu’il les invite à mettre la table en semaine. Et qui, à chaque fois, le désarçonne : “Flemme…”

 

« Depuis que j’ai découvert dans le dernier rapport de la Fondation Jean-Jaurès qu’en France, nous – et en particulier les jeunes – étions sous le coup d’une “épidémie de flemme”, j’ai éprouvé un léger soulagement. Comme disent les Italiens, “mal comune mezzo gaudio” : douleur partagée est moins dure à supporter.

Revenons donc à la flemme. Et d’abord au mot, tel que mes enfants le prononcent lorsque je les invite à une activité qui demande de l’énergie ou à une tâche qui exige un effort. Ils ont une manière bien à eux de le prononcer : sans article, de manière légèrement exclamative mais sans jamais hausser le ton, comme s’ils me faisaient part non pas d’un refus de la volonté mais d’un état donné de leur corps et du monde, comme s’ils me livraient le bulletin météo d’une dépression climatique en cours contre laquelle il n’y avait pas de sens à s’opposer. De sorte qu’à chaque fois qu’il tombe, ce “Flemme…” me laisse désarmé. Hier soir encore, alors que je prenais la peine d’interroger mon fils sur la signification précise qu’il accorde à ce terme, il a osé me lancer : “Flemme de te répondre !”

Par défaut, j’ai consulté les dictionnaires. Flemme, disent-ils, vient de l’italien flemma, qui signifie “lenteur”, “placidité”. Il est de même famille que flegme, du grec phlegma (φλέγμα, “humeur”, “mucus”). Dans la théorie des fluides, qui remonte à Hippocrate, on expliquait nos humeurs en fonction de la circulation dans notre corps de quatre liquides : le sang qui donne la jovialité, la bile noire responsable de la mélancolie, la bile jaune à l’origine de l’agressivité et, enfin, ce fameux flegme, qui nous permet de rester froid et réfléchi – c’est le sens premier de la formule “garder son sang-froid”. Or, l’excès de flegme nous rendrait inactif et paresseux. Il y a donc une tension entre le flegme qui permet à l’individu de rester placide face à l’adversité et l’excès de flegme, qui neutralise sa volonté. Pour marquer la différence, les Italiens ont donc introduit le terme de flemma, repris en français au XVIIIe siècle pour désigner l’état d’apathie de l’individu qui renonce à agir, par fatigue ou manque de motivation. C’est cette flemme-là que m’opposent mes enfants.

Or, à lire l’enquête de Jerôme Fourquet et Jérémie Peltier pour la Fondation Jean-Jaurès, loin de se réduire à un état d’humeur individuel, la flemme serait en passe de s’imposer comme une véritable “épidémie collective”, chez les jeunes en particulier. Sous l’effet de la crise du Covid-19, des confinements à répétition et de la redéfinition de la place du travail, 30% des Français (et 40 % des 25-34 ans) déclarent être “moins motivés qu’auparavant”. Un grand nombre, tout en faisant moins de sport et d’activité physique, se trouve être plus fatigué lorsqu’il en fait. Plus stupéfiant : les adolescents auraient perdu un quart de leur capacité pulmonaire en raison de la sédentarité et de l’usage prolongé des écrans, de sorte qu’ils mettent 90 secondes de plus qu’il y a trente ans pour courir un kilomètre et demi… Côté travail : la hiérarchie entre l’importance accordée au travail par rapport au loisir s’est renversée, passant de 60 à 24% pour le travail et de 31 à 41% pour les loisirs. Tandis que le nombre d’arrêts maladie a explosé, en particulier pour des raisons d’épuisement. Enfin, l’image du lit et du canapé est dorénavant positive pour 85% des 25-34 ans, et l’idéal du vendredi soir est associé en priorité à un plateau-repas devant la télé, loin devant une sortie entre amis…

Pour les auteurs de l’enquête, ces symptômes sont le produit de la “dislocation terminale de la matrice catholique” de la culture française de “sacralisation du travail et de l’effort”… Le philosophe Pascal Bruckner me semble plus inspiré lorsqu’il fait valoir dans son dernier essai, Le Sacre des pantoufles (Grasset, 2022), que le monde numérique offre aux nouvelles générations la possibilité de se mettre en contact avec l’extérieur, depuis le confort douillet de l’intérieur, mais avec le risque de ne plus vraiment se frotter à la rugosité du dehors. En constatant que la flemme est liée au flegme, un doute m’est cependant venu. Et si l’invocation de la flemme par les jeunes était une manière de nous signifier que le monde leur est devenu hostile… et qu’ils ont peur, en s’y frottant, de perdre leur sang-froid ? »

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