Faire de l’histoire au temps du relativisme

Pour l’historien Jean-Frédéric Schaub, qui publie Nous avons tous la même histoire (Odile Jacob, 2024), l’histoire scientifique est menacée par le déferlement des faits alternatifs, par les mythes du « roman national », mais aussi par la pensée décoloniale qui prétend interdire aux chercheurs occidentaux d’imposer leur vision du monde… tout en ne connaissant pas toujours la langue des sociétés qu’ils étudient. Entretien.

L’autonomie scientifique des historiens est-elle aujourd’hui en danger ?

Jean-Frédéric Schaub : Elle a toujours été en danger. Dans nos sociétés, les mémoires des groupes et des citoyens sont sans cesse sollicitées. L’État produit de la commémoration, il essaie de fabriquer de la citoyenneté en faisant appel au passé collectif. En outre, le passé inspire toutes sortes de créations artistiques et littéraires… Il ne s’agit donc pas d’attribuer aux historiens un monopole sur le passé ; il s’agit de protéger une science sociale qui a pour but la connaissance du passé selon des règles professionnelles, avec un horizon de véridicité. Cet horizon de véridicité m’apparaît aujourd’hui comme un point essentiel, dans la mesure où nous vivons, dans la sphère politique, sous l’emprise des « faits alternatifs ». L’explosion du flux d’informations numériques transforme ces « faits alternatifs » en faits véridiques. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de contester le relativisime issu d’une philosophie critique née dans les années 1970, mais de dénoncer cette possibilité accrue de falsification qui est porteuse de tyrannie. Le remède à cette tyrannie est l’affirmation du caractère scientifique de l’histoire, ce qui ne revient pas à affirmer la neutralité axiologique totale du chercheur dans sa démarche intellectuelle.

“Il ne s’agit pas d’attribuer aux historiens un monopole sur le passé ; il s’agit de protéger une science sociale qui a pour but la connaissance du passé selon des règles professionnelles” Jean-Frédéric Schaub