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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Simon Lee/Unsplash

Livres

Être continuiste avec Spinoza ou discontinuiste avec Descartes ? La réponse des neurosciences

Jean-Michel Besnier publié le 18 avril 2023 5 min

Les neurosciences prennent de plus en plus en charge des questions philosophiques, comme celle de savoir si le monde est constitué d’atomes discrets ou d’un lien continu entre les êtres. C’est le cas du dernier livre de Lionel Naccache, Apologie de la discrétion. Comment faire partie du monde ? (Odile Jacob, 2023) auquel nous avions consacré un entretien et qui vient de recevoir le Grand Prix du livre sur le cerveau. Le philosophe Jean-Michel Besnier nous en propose une synthèse aussi éclairante que stimulante.


 

Malgré son titre, Apologie de la discrétion, ce livre ne devrait pas passer inaperçu. Il est en effet le résultat d’une ambition philosophique proprement insolente. Sans paraître le réaliser, son auteur, Lionel Naccache, neurologue à la Pitié-Salpêtrière, rejoue à sa façon les termes du débat qui a marqué « la crise de la physique moderne », dans la seconde moitié du XIXe siècle : l’énergétisme contre l’atomisme. Le réel n’est-il que de l’énergie, comme le soutenait Friedrich Wilhelm Ostwald (1853-1932), ou bien n’est-il qu’un jeu d’atomes descriptible en termes de mécanique, ainsi que l’affirmait entre autres Ludwig Boltzmann (1844-1906) ? Autrement dit : le monde est-il continu ou bien seulement composé d’éléments discrets [c’est à dire indépendants et séparés les uns des autres] en interaction ?

Chemin cartésien

L’alternative n’est pas nouvelle et remonte au moins à l’atomisme de Démocrite qui, contre la physique qualitative d’Aristote, ouvre la voie à la discrétion, dont Lionel Naccache propose l’apologie. Le XVIIe siècle la remettra à l’ordre du jour en dressant l’un contre l’autre. Descartes et Gassendi, puis viendront les débats autour de la théorie de la lumière qui feront de l’opposition entre les ondes et les corpuscules un modèle paradigmatique de controverse scientifique. En bref, l’engagement épistémologique de Lionel Naccache vient de loin, et ce n’est pas un défaut.

La référence philosophique du neurologue est clairement affichée : « Mon chemin est cartésien », précise-t-il, même si la méthode d’exposition de ses arguments paraît emprunter à Spinoza, toutefois « avec une pincée d’auto-dérision ». Mais Spinoza n’avait-il pas lui-même emprunté à Descartes sa démonstration more geometrico ? Descartes d’un côté, adepte d’une conception mécaniste du monde et d’un dualisme corps-esprit, contre Spinoza de l’autre, supposé ici partisan d’un pan-psychisme et d’un monisme radical ! Depuis le bord du ring, on est tenté de prendre la tangente selon la suggestion de Lionel Naccache lui-même, et de « penser à la manière de Bouvard et Pécuchet ». La cause est pourtant sérieuse, puisqu’elle entend nous permettre de répondre aussi à une question existentielle, éthique et politique : « Comment faire partie du monde ? »

Cartésien, nous pourrions répondre : en permettant au « je » solitaire de composer avec un monde scientifiquement identifiable. Spinoziste : en se laissant géométriquement déduire comme simple partie d’une unité substantielle nommée Dieu. Lionel Naccache n’a guère de doute : nous construisons le monde à partir d’un cerveau qui fonctionne de manière modulaire, sur la base de combinaisons de neurones qui sont autant d’éléments discrets. Le « cinéma intérieur » qu’est notre vie mentale transforme évidemment le discret (neuronal) en continu (perceptif) ; cela ne l’empêche pas d’être mécanique. Par ailleurs, le monde, qui nous apparaît continu lui aussi, est indiscutablement discontinu, et l’histoire des sciences bien comprise l’atteste. À commencer par celle des mathématiques qui doivent construire l’espace et le temps à partir du point euclidien, en révélant d’une certaine façon que notre intuition naturelle de la continuité dissimule en réalité l’identité à soi, discrète, qui constitue notre subjectivité.

Discrétion cérébrale

Le continu est toujours dérivé et la vérité de fond réside du côté du discret sous toutes ses formes (neuronal, atomique, génétique…). Le flux de notre conscience ne serait rien sans la discrétion cérébrale, et c’est avec un monde fondamentalement discontinu qu’il a affaire. Lecteur attentif des hésitations de Freud sur la question et lui-même médecin confronté aux troubles neurologiques et psychiatriques causés par la dissociation de la subjectivité, Naccache est incontestablement convaincant : « Il arrive que la machine à mouliner le discret ne fonctionne plus » et que les « atomes de notre conscience » fonctionnent de manière dispersée.

L’essentiel, on l’aura compris, est de préserver la tension entre le discret et le continu, en évitant deux écueils : vouloir s’immerger dans une continuité radicale, tel que certains gourous de la méditation (Christophe André est malicieusement « dénoncé » !) ou de l’écologie profonde (Arne Naess est convoqué) nous la recommandent, ou bien s’enfermer dans une discrétion radicale au point d’abdiquer le monde d’autrui. Lionel Naccache prévient contre la « désubjectivation subjective » dont se prévalent les adorateurs du « Grand Tout », mais il fuit également l’égoïsme radical.

Sa culture de philosophe lui permet de rendre concevable et surmontable le « ni-ni » auquel il pourrait sembler condamné : son cartésianisme lui souffle en effet de préserver un cogito discret, tandis que son adhésion au matérialisme de Marx le conduit à concevoir, conformément à la théorie épicurienne du clinamen, que ce sujet atomique dispose de liberté et qu’il n’est pas soumis à un nécessitarisme aveugle. Voilà comment il est pensable que la discrétion de la subjectivité individuelle fasse pièce aux totalitarismes et autres perversions solipsistes.

“Atomisme sans vide”

Lionel Naccache s’est inventé une doctrine pour l’expliquer : « l’atomisme sans vide ». Très succinctement traduit, voilà de quoi il s’agit : un atome dans le vide est soumis à des forces et trajectoires nécessaires ; il est en outre séparé par le vide de ses semblables – d’où « les effroyables horreurs » qu’endurent les êtres réduits à l’instrumentalisation et au dénombrement abstrait. En revanche, un atome soumis au hasard produit par le clinamen décrit par Épicure rencontre les autres et compose avec eux des associations dans lesquelles il ne se perd jamais en tant qu’atome : une intersubjectivité est ici permise, qui arrache à l’égoïsme autant qu’à la dilution de soi dans l’indéterminé.

Telle est en définitive l’issue salutaire : défendre l’atomisme, car le discret est seul défendable du point de vue de la science, mais requérir que l’atome dispose des ressources pour simuler une continuité l’autorisant à « faire partie du monde », car la vie morale et politique en dépend.

“L’atomisme sans vide nous conduit à postuler la possibilité de créer volontairement un comme si de lien continu entre chacun de nous et le monde non humain”

Lionel Naccache, Apologie de la discrétion, 2023

Avec cette doctrine, il est même envisageable de prospecter une voie politico-culturelle en quelque sorte laïque qui échapperait aux enfermements idéologico-religieux, par exemple au judaïsme dont la spiritualité est à dominante discrète ou au christianisme dont l’obsession est tournée vers la continuité…

L’Apologie de la discrétion est décidément un livre très singulier, et son auteur un salutaire trublion de la pensée.

 

Apologie de la discrétion. Comment faire partie du monde ?, de Lionel Naccache, vient de paraître aux Éditions Odile Jacob. 336 p., 23,90€, disponible ici.

Le monde est-il discret ou continu ? La réponse originale de Lionel Naccache
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