Éric Zemmour : le doigt du déshonneur
C’est le geste qui a fait parler ce week-end : le doigt d’honneur d’Éric Zemmour, en déplacement à Marseille, en réaction à celui que lui adressait une passante. « Et bien profond », aurait ajouté le candidat putatif à la présidentielle. L’allusion sexuelle est on ne peut plus transparente. Elle est en fait à l’origine même d’un geste insultant qui existait déjà dans l’Antiquité... Explications.
Les origines du doigt d’honneur sont aussi anciennes qu’incertaines. En Grèce antique, il est nommé katapygon, de kata « vers le bas » et puge « fesses ». La grande figure du mouvement cynique, Diogène de Sinope, était coutumier du geste, fidèle à son mépris pour les conventions sociales. Diogène Laërce raconte ainsi dans Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres : « Des étrangers souhaitant voir Démosthène, il leur montra son doigt du milieu tendu, en disant : “Tel est celui qui gouverne le peuple d’Athènes.” » À Rome, le katapygon deviendra le digitus impudicus ou infamis, le « doigt impudique » ou « infâme ». L’imaginaire qui entoure le geste est, dès l’origine, sexuel : le doigt levé évoque un phallus, et le reste de la main un scrotum. Le doigt d’honneur fait référence à une pénétration anale. L’autre auquel il s’adresse est, littéralement, un « enculé », dans le sens injurieux où le terme est encore souvent employé.
Pour comprendre la portée symbolique du geste, il faut le replacer dans le contexte des relations homosexuelles masculines dans l’Antiquité. Ces relations ne sont pas interdites ni réprouvées, mais elles sont profondément codifiées, comme le montre Michel Foucault dans le deuxième tome de son Histoire de la sexualité, L’Usage des plaisirs : « Il y a dans le comportement sexuel un rôle qui est intrinsèquement honorable, et qui est valorisé de plein droit : c’est celui qui consiste à être actif, à dominer, à pénétrer et à exercer ainsi sa supériorité. » Au contraire, le fait d’« être passif à l’égard des plaisirs », d’être pénétré, est considéré sur un mode négatif. Ce rôle sera réservé, dans le cadre des relations hétérosexuelles, aux femmes, et dans les relations homosexuelles aux jeunes et aux esclaves – à des sous-hommes. Faire un doigt d’honneur à quelqu’un, c’est lui signifier sa déchéance de son statut d’homme libre, d’homme de bien, d’homme honorable.
Le geste sera repris tout au long de l’histoire, en particulier lors de la guerre de Cent Ans, qui voit s’opposer deux styles d’armées, les Français lourdement cuirassés et les redoutables archers anglais. Au fil des années, les premiers prirent l’habitude de couper un doigt des Anglais capturés pour les empêcher de tirer. Réactions : les Anglais prirent, selon certains, l’habitude de tendre leur majeur à leurs adversaires avant les batailles. D’autres considèrent qu’ils tendaient plutôt les deux doigts nécessaires pour encocher une flèche. C’est l’origine possible non du V de la victoire, celui de Churchill, fait avec la paume de la main vers l’avant, mais un V insultant, qui exhibe le dos de la main. Un V qui est en fait un U, initiale de « up yours », littéralement « dans le tien », comprendre « dans ton cul ».
S’il possède une origine européenne, le doigt d’honneur est aujourd’hui compris – comme insulte – dans le monde entier. Redoublé ou non d’un bras d’honneur, apparu plus récemment comme une forme d’exacerbation, il a envahi les films et les séries. La plupart des gens qui l’emploient n’ont pas, bien entendu, en tête la longue histoire sémantique du geste. Quelque chose, pourtant, demeure de cette imaginaire de la passivité sexuelle prétendument dégradante : les Anglo-Saxons agrémentent, en général, le doigt dressé d’un « fuck [you] ».
Même si nous n’en avons pas clairement conscience, le doigt d’honneur vise à déshonorer l’autre en le ramenant à une passivité sexuelle jugée dégradante. Cette rhétorique sous-jacente paraît complètement rétrograde aujourd’hui, après des décennies de luttes pour l’émancipation des femmes et des homosexuel(le)s. Dans une certaine mesure, peut-être faudrait-il considérer celui qui emploie le doigt d’honneur se déshonore lui-même. Plus encore lorsqu’il a des velléité d’incarner l’État.
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