Épisode 3 : radicaux et socialistes dans la Commune

Il y a cent cinquante ans, le 18 mars 1871, alors que le Second Empire s’effondrait après sa défaite contre la Prusse, une insurrection de Parisiens donne naissance à un régime politique nouveau : la Commune de Paris. Cette expérience démocratique inédite a fasciné les philosophes de l’époque, qu’ils aient participé au mouvement de l’intérieur ou observé son déroulé de l’extérieur. Retour sur leurs témoignages et leurs analyses, souvent divergentes, dans notre fresque historique en cinq épisodes.

Après les marxistes et les anarchistes, aujourd’hui : radicaux et socialistes dans la Commune.

• Si la majorité des communards s’entendent sur quelques points essentiels – opposition à l’Assemblée nationale dominée par les monarchistes, autonomie de la Commune, liberté d’association pour les ouvriers, séparation des Églises et de l’État, transformations des entreprises abandonnées en sociétés ouvrières –, les dissensions entres les membres du Conseil sont grandes. Elles se cristallisent autour de la création d’un Comité de salut public, réclamée par la majorité, et finalement adoptée. Une minorité, dite « radicale » s’y oppose et publie un Manifeste commun.
• Les radicaux sont, pourtant, tout sauf un groupe homogène. S’ils appartiennent, pour la plupart, à la Première Internationale, la majorité d’entre eux ne se range pas sous une étiquette bien définie – marxistes, collectivistes bakouniniens ou libertaires proudhoniens. Il s’agit, pour l’essentiel, de républicains attentifs à la question sociale et aux mouvements ouvriers, qui cherchent une voie hybride entre l’anarchisme et le communisme. Parmi les radicaux les plus influents : l’essayiste Benoît Malon, qui publiera Le Socialisme intégral (1891) et animera la Revue socialiste, Prosper-Olivier Lissagaray, auteur d’une Histoire de la Commune de 1871 (1896), Victor Clément, partisan d’une République démocratique et sociale, le libertaire Eugène Varlin, Charles Longuet (futur gendre de Marx), ou encore Jules Vallès. 
• La Commune est ainsi un lieu majeur où s’invente le socialisme à la française. Toutes les futures figures du socialisme de la Troisième République suivent de près les événements. C’est le cas de Paul Brousse, qui prend part à l’insurrection alors qu’il n’a pas 30 ans. Il est, à l’époque, anarchiste mais évoluera vers le socialisme réformiste et fondera un courant d’importance : le possibilisme, qui rompt avec l’idée de révolution brutale et privilégie les conquêtes successives – au niveau municipal, d’abord – pour faire avancer l’agenda ouvrier. Jean Allemane, fondateur du courant allemaniste, proche du possibilisme avant d’en devenir le rival, participe lui aussi à l’insurrection. Comme beaucoup de communards, Allemane représente une gauche non marxiste ancrée dans le syndicalisme et hostile aux dogmatismes, capable de prôner aussi bien l’action révolutionnaire que l’alliance opportune avec les partis bourgeois et la participation aux institutions républicaines.
• Jules Guesde, de son côté, n’est pas à Paris pendant les événements mais s’enthousiasme pour la Commune qui, comme il le dit lui même, le convertit au socialisme. Guesde est fortement influencé par le marxisme, dont il est l’un des premiers importateurs en France : il connaît bien Engels et Marx lui-même. Mais il n’est pas, pour autant, un théoricien du marxisme – il s’approprie, plutôt, la rhétorique marxiste, sa puissance oratoire, pour diffuser son approche révolutionnaire. Citons, enfin, Georges Sorel, théoricien du syndicalisme révolutionnaire et de l’action violente, et adversaire de Guesde. Lui non plus n’est pas à Paris pendant l’insurrection. Et son regard reste d’ailleurs, longtemps, très critique à l’égard du mouvement : il dénonce la « jésuitique rouge » d’un mouvement trop républicain et jacobin pour être, vraiment, en faveur des ouvriers.