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“The End. Vocaloid Opera”: ode à la réalité virtuelle

Cédric Enjalbert publié le 14 novembre 2013 4 min
Le théâtre du Châtelet accueille pour trois représentations exceptionnelles “The End. Vocaloid Opera”, un opéra virtuel interprété par une diva star au Japon: Miku Hatsune. Ce défi artistique et philosophique conçu par le compositeur Keiichiro Shibuya déconcerte autant qu'il interroge sur la consistance du virtuel et l'avenir de l'humanité arraisonnée au monde de la technique.

Miku Hatsune ? Une jeune diva virtuelle, dont la célébrité dépasse celle de Lady GaGa au Japon. Créature née d'une collaboration entre Yamaha et la société Crypton Future Media, Miku Hatsune, avant d’être une icône pop, est d’abord une voix de synthèse ; un « vocaloïde » plutôt qu’un androïde, qui fait fureur à l'extrême Est. Elle est en tournée au Théâtre du Châtelet, pour trois représentations exceptionnelles.

Simple jeune fille dessinée sur l’emballage d’un logiciel de synthèse vocale, Miku Hatsune connaît la célébrité lorsque les utilisateurs commencent à lui faire interpréter leurs propres chansons, suscitant la création d’un nouveau genre musical: le « Vocaloid », et la reconnaissance de Miku comme star.

« Une diva virtuelle inspirée par la musique de cour japonaise »

Plus qu'un simple hologramme, Miku Hatsune est porteuse d’une ferveur bien réelle : pas un banal objet de consommation, mais un personnage né du désir partagé de « ses créateurs », suscitant des affects. Comme l’écrit Jean-François Mattéi : « Qu’est-ce que la réalité virtuelle ? C’est la constitution d’un espace scientifique et technique utilisant l’informatique et des interfaces comportementales pour simuler dans un univers fictif des entités en trois dimensions. Cette simulation virtuelle compense, par son effet d’hyperréalité, son déficit ontologique, c’est-à-dire son absence d’actualité. Un tel monde synthétisé par ordinateur peut répondre à son utilisateur grâce à des canaux sensoriels qui associent la vision, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût. »

Le compositeur et pianiste Keiichiro Shibuya s’est emparé de cette entité virtuelle hyperréelle, épaulé d'un auteur, d'un metteur en scène et d'un vidéaste : The End. Vocaloid Opera est ainsi né. Avec un brio technique remarquable, il a fait de la chanteuse aux cheveux verts, une diva technologique inspirée par la musique de cour japonaise, pratiquant l'aria et le récitatif.

Miku Hatsune est « habillée » par Louis Vuitton ; s'inquiète de son identité ; parle vie, mort, existence, bref, chante la métaphysique électro et l'ontologie lyrique. À la fois interprète et héroïne en soi de l'opéra, instrument et voix, elle s’interroge inlassablement : « Qui suis-je quand je dis je ? »

 

Le défi technique est aussi ontologique: Miku Hatsune, «consciente» d’être capable de tout et de n’être rien, s'inquiète de son identité et de son avenir. Ses programmateurs-compositeurs ont en effet programmé en elle une inquiétude pour la mort, ou plus exactement pour la fin. Surpassant l’humain par ses capacités et son incorruptibilité, elle n’en demeure pas moins un outil, une virtualité qui ne prend corps que dans une «production», un show.

« En faisant disparaître l’être humain de la scène, on tente d’orienter notre conscience vers l’être humain lui-même »

Shûshei Sakagami

Miku Hatsune est le signe d’une technologie posthumaine ambivalente : androïde, elle est aussi le porte-parole des menaces d'« arraisonnement » du monde (un terme forgé par Heidegger), qui alerte l’humanité, en thématisant sa disparition ou sa fin. Comme le résume Shûsei Sakagami, critique et romancier japonais, spécialiste de littérature contemporaine et auteur d’un article intitulé « The End : au croisement de la production et de la fin » : « En faisant disparaître l’être humain de la scène, on tente paradoxalement d’orienter notre conscience vers l’être humain lui-même ».

Et le compositeur de cet opéra post-contemporain de poursuivre :

« Avec le projet The End, c’est mon concept d’initier une musique de la fin qui a pris forme. […] L’époque contemporaine est cernée par diverses “fins”. Le développement des technologies et des réseaux nous rapproche d’autant de la fin. On en a sans doute plus conscience quand on vit au Japon, après le problème de Fukushima et des centrales nucléaires. […] Jusqu’à présent, le quotidien était pensé comme une chose sans fin, se poursuivant de jour en jour. Or depuis le 11 mars 2011, nous partageons tous la conscience que ce monde se dirige avec certitude vers sa fin. Ce que la pollution radioactive et les bombes à retardement que sont les centrales nucléaires suscitent en nous, ce n’est pas du désespoir, mais plutôt l’atmosphère pesante que le quotidien aussi touche à sa fin, et je pense que cette atmosphère envahit complètement le quotidien, à la manière d’un roman de Kafka. »

Miku Hatsune, drôle d'allégorie aux lointaines ascendances heideggeriennes, met en garde par son existence même contre la technique qui demeure sans identité, sans morale et sans but. Elle arpente tout au long de l'opéra des « chemins qui ne mènent nulle part » et s’en inquiète, ayant comme conscience de ses limites par delà ses capacités extraordinaire, sa perfection esthétique et technique.

 

« Le Japon, pays du phénomène en soi »

Devenue un personnage virtuel bien réel (deux notions qui ne s’opposent pas !), Miku Hatsune donne des concerts réunissant une foule de milliers de spectateurs extatiques. Comment comprendre la cristalisation et le succès d’une telle entité dans l’univers japonais, autrement que par l’admiration d’un exploit technique et l‘universalité des thèmes évoqués (la mort et le sens de la vie, grossièrement) ?

Par l’ontologie singulière développée par la culture japonaise, aussi, qui n'est fondée a priori pas sur un étant « plein », massif et constitué, mais sur un vide, un « évidement premier ». La réalité au Japon – un pays du phénomène en soi – ne repose pas sur l’être, ni d’ailleurs sur un non-être, mais sur une catégorie intermédiaire faisant apparaître l’individu au sein d’une relation, sur un néant constitutif, qui fait la part belle au phénomène et à l’expérience purs.  Ce néant créateur au fondement de la pensée japonaise pourrait bien trouver écho contemporain dans «l’espace virtuel» ainsi qu'une incarnation proprement phénoménale dans la voix et les grands airs de Miku Hatsune. 

 

Informations
The End. Vocaloid Opera
En japonais, surtitré
Musique et conception: Keiichiro Shibuya
Conception originale du livret: Toshiki Okada
Scénographie: Shohei Shigematsu
Costumes: Louis Vuitton
Vidéo: YKBX
Lumières: Masakazu Ito
Sound designer: evala
Programme Vocaloid: Pinocchio P
Miku Hatsune
Clavier: Keiichiro Shibuya
 
Théâtre du Châtelet - 1, place du Châtelet - 75001 Paris
Réservation: 01 40 28 28 40
www.chatelet-theatre.com
Du mardi 12 au vendredi 15 novembre 2013, à 20 heures 
Durée : 1h25
Pour aller plus loin 
Le dossier: Platon et le virtuel
Le portrait: Hiroki Azuma. Otaku malgré lui
Le clivage: Virtuel / Réel
L'enquête: Splendeurs et misères du virtuel

 

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