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Le monument aux morts de la Seconde Guerre mondiale dans le port de Tchornomorsk. © Michel Eltchaninoff

Choses vues et entendues

En Ukraine, que pense l’“homme rouge” de la guerre ?

Michel Eltchaninoff publié le 17 juin 2022 4 min

Depuis plus de trois mois, l’Ukraine subit la guerre lancée par l’armée russe. Odessa, le grand port de la mer Noire et troisième ville du pays, la traverse d’une façon bien particulière. Ancien joyau de l’empire russe, la « Saint-Pétersbourg du sud » est une pièce majeure de la « Nouvelle Russie » fantasmée par les idéologues du poutinisme. Elle est un objectif militaire essentiel. Mais, même si elle a subi plusieurs frappes de missiles, elle reste pour l’instant imprenable – que ce soit par la terre ou par la mer. 

C’est pour comprendre ce que vivent les Odessites et les Ukrainiens que notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff s’est rendu dans cette ville portuaire, où sont bloquées les céréales nécessaires à la survie d’une bonne partie du monde. En rencontrant ses habitants, il nous propose ici son carnet de bord quotidien.

Aujourd’hui, il relate sa rencontre avec Boris, un nostalgique du communisme qui ne voit pas tout à fait la guerre du même œil que les nationalistes ukrainiens.

 

« Jeudi après-midi, je suis allé rencontrer des entrepreneurs dans le port de Tchornomorsk, à une quinzaine de kilomètres d’Odessa. Pour faciliter ma venue et passer sans encombre les checkpoints tenus par les soldats ukrainiens, on m’a envoyé un chauffeur. C’est de lui que je voudrais vous parler aujourd’hui. Appelons-le Boris.

 

Bienvenue dans l’ex-Ilitchevsk, nommée en l’honneur de Lénine

Boris a dépassé la soixantaine, mais il a la carrure athlétique, le visage carré, l’œil bleu, le verbe haut et le sourire facile. Alors que je m’assois à côté de lui – dans un ancien pays communiste, on se place le plus souvent à côté du chauffeur –, il déclare que, pour lui, Tchornomorsk, ville ukrainienne dont il est originaire et où il vit encore, reste Ilitchevsk, en l’honneur de Vladimir Ilitch Lénine. La loi sur la décommunisation de 2015 et le changement de nom de la ville n’y font rien. D’ailleurs, me raconte-t-il, rigolard, le maire communiste a traîné les pieds pour retirer la gigantesque statue de Lénine qui trônait dans le centre.

Après avoir discuté durant le trajet, passé les contrôles armés, nous arrivons au port, gigantesque. On n’a pas le droit de le photographier. Les silos à céréales se dressent, solitaires, au bord de l’eau. Aucun mouvement ne règne. Les bureaux du commandement semblent désertés. La mer Noire a été minée par les forces ukrainiennes pour se protéger d’une attaque. Il y a également des mines russes un peu partout. Maintenant, les navires de transport de grain sont pris en otage. En attendant une solution – l’ouverture d’une route maritime grâce à la participation de navires alliés, avec le risque que l’armée russe n’en profite pour prendre Odessa – c’est ici, dans ce port immobile de Tchornomorsk et les autres terminaux tout proches, que se joue le sort de millions de personnes qui commencent à mourir de faim. Il reste un mois et demi avant que le grain ne pourrisse.

 

La chute de l’URSS, mère de tous les maux actuels ?

Mais les silos indiffèrent plutôt Boris. Il me dit que désormais ça se passe très bien dans les ports repris par les Russes, par exemple à Marioupol, et que les exportations ont repris. Il me montre un gigantesque complexe portuaire de réparation de navires, complètement à l’abandon depuis la fin de l’Union soviétique. Disons que mon chauffeur a dans la tête un autre récit que celui de la guerre en Ukraine. Pour lui, tout a commencé à aller mal en 1991, lors de la chute de l’Empire, et la guerre qui se déroule aujourd’hui n’en est qu’une fâcheuse conséquence.

Boris déteste le nationalisme. Dans son enfance ses voisins étaient tous de nationalité différente – Russes, Ukrainiens, Roumains, Juifs, Tatars – et s’entendaient parfaitement bien. Son pays, c’était l’Union soviétique. Il se sentait autant chez lui au Kazakhstan, où il est allé chercher de l’or, qu’en Moldavie. C’était la belle vie : “Pour trois roubles, on allait au restaurant. Aujourd’hui, plus personne ne peut se le permettre.” En me faisant circuler dans la ville et en appelant les rues par leurs anciens noms, il peste contre les Américains, qui ont détruit l’URSS et ont introduit des valeurs délétères. Il critique surtout les dirigeants ukrainiens : “Des bandits, qui volent l’argent au lieu de trouver du travail aux gens. Ce sont eux qui font la guerre au peuple.” Depuis le début du conflit, le prix de l’essence a presque doublé, l’inflation est galopante, les salaires ont été réduits, le chômage explose.

 

« Common decency » et fatalisme

Boris, qui ne regarde plus la télévision depuis deux ans et ne s’informe que sur Internet, pense que le Covid est un complot étranger, que les missiles tombés sur Odessa sont partis du côté ukrainien, que l’Occident a toujours voulu anéantir les peuples slaves, que Staline est un type bien. Mais il déploie aussi une morale orwellienne de la common decency – où se mêlent, dans son cas, priorité à l’amitié, désintéressement et amour des animaux. Cet ancien de la guerre d’Afghanistan (“on en a bouffé, de la mort”), qui possède cinq chats et deux chiens, a une éthique simple : “J’ai remarqué que plus tu venais d’un milieu modeste, plus tu te conduisais honnêtement.”

Quand nous revenons à Odessa et que je lui parle du projet municipal de changement de nom des rues liées à la culture russe, il répond simplement : “Quand les Russes arriveront, ils remettront les anciens noms.” Je lui demande de répéter. Il développe : “Stratégiquement, c’est limpide. Les Ukrainiens n’ont pratiquement pas d’aviation, pas de marine. Ils sont inférieurs en artillerie. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais les Russes vont gagner, et prendront Odessa.” L’écrivaine bélarusse Svetlana Alexievitch, a raconté dans La Fin de l’homme rouge (trad. fr. Actes Sud, 2013), les métamorphoses intimes du soviétisme, bien après la fin de cet empire. Grâce à cette virée à Tchornomorsk-Ilitchevsk, j’ai eu droit à la suite. »

 

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