Édouard Louis, le sens de la plainte

« Quand la vérité judiciaire s’impose à la vérité littéraire », titrait Le Monde au lendemain de la décision du tribunal de Paris relaxant Riadh B. des faits d’agression sexuelle à l’encontre du romancier Édouard Louis qui avait raconté dans un livre, Histoire de la violence, paru en 2016, le viol dont il aurait été la victime en 2012. Et le journal de lister toutes les contradictions apparues dans cette affaire entre le récit littéraire de l’événement par l’écrivain Édouard Louis et le parcours judiciaire du plaignant Édouard Louis : refus d’être confronté à sa victime et de participer à la procédure judiciaire, souhait exprimé d’un non-lieu pour son agresseur – Louis étant opposé à l’emprisonnement –, alors que la plainte a conduit l’accusé à faire onze mois de prison de préventive ; souhait exprimé à plusieurs reprise de « passer à autre chose », etc. « L’inconstance des déclarations » de Louis a pesé dans la balance des juges qui ont estimé qu’en l’absence d’éléments matériels incontestables, une plainte doublée d’un récit littéraire ne suffisait pas à soutenir une accusation aussi lourde que celle d’un viol. Ce qui n’a pas empêché le parquet de faire appel de la décision. 

Réagissant sur Twitter, le sociologue et ami de l’auteur, Geoffroy de Lagasnerie, a affirmé : « Il s’est donc passé il y a quelques jours pour Édouard ce qui s’est passé pour beaucoup d’autres avant lui : sa plainte et sa parole, les expertises médicales, les marques de strangulation, les ecchymoses sur son corps, les traumatismes anaux, la peur de la confrontation que l’on voudrait lui imposer, la difficulté de tout se remémorer et la lassitude d’avoir à le répéter encore et encore… n’ont pas suffi à convaincre une juge de la réalité d’un rapport non consenti. » Et d’ajouter : « Il n’y a […] pas une “vérité judiciaire” contre une “vérité littéraire”. Il y a une décision judiciaire choquante et même absurde qui va à l’encontre de la parole de [quelqu’un] qui a porté plainte pour viol. […] La vérité reste la vérité. » 

Si la question du crédit – et de l’absence de confiance faite au témoignage des victimes – est au cœur de nombre d’affaires de viol qui voient les plaignant(e)s être débouté(e)s au tribunal pour cette raison, la question se complique ici dès lors que la victime refuse de participer à l’œuvre de justice et oppose la vérité d’un récit et d’une plainte à tous les dispositifs de vérification de la preuve propre au système judiciaire. 

Une question – celle du conflit qui peut exister entre les procédures pour « dire le vrai » – qui était au cœur de la pensée de Michel Foucault dont se réclament précisément Édouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie. Analyse.