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Le livre du jour

“Dissonance cognitive” : (re)découvrez l’étonnant classique à l’origine de ce concept

Jean-Marie Durand publié le 19 avril 2022 5 min

La réédition d’un classique de la psychologie sociale, L’Échec d’une prophétie (PUF, 2022), initialement paru en 1956 aux États-Unis et en 1993 en France, rappelle combien la dissonance cognitive, théorisée à l’occasion de cette enquête auprès d’une secte millénariste au début des années 1950, reste d’actualité. Un livre clé qui permet de mieux comprendre pourquoi, les croyances n’étant pas bâties sur des faits, les faits ne peuvent pas les ruiner.

 

Dans la préface de la première traduction en France de L’Échec d’une prophétie, il y a une trentaine d’années, le psychologue français Serge Moscovici déclarait que cet ouvrage américain était « l’un des plus beaux livres qui soient apparus dans les sciences humaines au cours de la seconde moitié du XXe siècle ». Considéré depuis sa première publication aux États-Unis en 1956 comme un classique de la psychologie sociale, cette enquête sur une secte millénariste a ouvert tout un champ d’analyses à ce qu’on appelle la « dissonance cognitive », soit la tension qu’un individu ressent lorsque son comportement entre en contradiction avec ses croyances.

Ce que provoque cette dissonance, c’est l’effort de l’individu pour réduire les contradictions entre ses actes et les informations qui invalident ses croyances. Dans la préface de la réédition du livre, en librairie le 13 avril, le sociologue et romancier Gérald Bronner note qu’un individu « est en état de dissonance si, croyant en la cartomancie, il voit les prédictions de sa voyante sans cesse démenties par la réalité ». Ou même celui qui « croyant à la fidélité dans le couple, en vient, malgré tout, à tromper son partenaire ». Autrement dit, la dissonance cognitive concerne, potentiellement, beaucoup de monde… Serions-nous tous dissonants ?

Une enquête policière autant qu’une observation scientifique

Les individus que les trois psychologues américains Leon Festinger, Henry W. Riecken et Stanley Schachter ont étudiés donnent pourtant de la dissonance cognitive une vision autrement plus inquiétante. Persuadé de l’imminence de la fin du monde, le groupe de personnes qu’ils ont suivi était mené par un docteur passionné de soucoupes volantes et par une ménagère de Chicago, Marian Keech, qui affirmait avoir reçu de mystérieux messages provenant d’extraterrestres de la planète Clarion lui annonçant que le monde serait englouti par une grande inondation. Tous les membres du groupe décidèrent de quitter leur travail et leur famille pour préparer leur départ à bord d’une soucoupe volante.

La gourou de cette secte a fait ainsi connaître son message dans la presse locale : « Lake City sera détruite par une lame de fond surgie du grand lac peu avant l’aube du 21 décembre, affirme une ménagère des environs de notre ville [...] On lui aurait dit que l’inondation formerait une mer intérieure qui ira du cercle Arctique au golfe du Mexique. En même temps, une inondation submergera la côte Ouest depuis Seattle, État de Washington, jusqu’au Chili, en Amérique du Sud ».

En découvrant l’article, Leon Festinger eut l’idée de s’intégrer à cette secte en se faisant passer pour un adepte, afin de voir comment les membres du groupe se comporteront lors du démenti de leurs croyances. Avec ses collègues, il vécut en vase clos dans la maison de Marian Keech (plus flippante que la maison de Psychose ?), prit des notes secrètement en se réfugiant aux toilettes. L’essai de psychologie sociale, dont la forme, à la mesure de son sujet épique et piqué, épouse celle d’un roman à suspense, dépeint ainsi une myriade de personnages dont l’allure banale dissimule l’inquiétante étrangeté.

Les croyances ne sont pas bâties sur des faits

Comment, au petit matin du jour annoncé de la fin du monde, alors que les extraterrestres n’ont finalement pas montré le bout de leur nez, les allumés ont-ils persisté dans leur foi millénariste ? C’est précisément la découverte de ce livre de démontrer qu’après l’échec d’une telle prophétie, les fidèles cherchent à s’organiser et à répandre la « bonne parole ». Serge Moscovici notait : « C’est pourquoi ce fut toujours une grave erreur et ce continue à en être une que de penser pouvoir mettre un terme à des prophéties ou croyances de ce genre par des controverses ou des informations logiques. Proust savait ce que beaucoup semblent encore ignorer, que, les croyances n’étant pas bâties sur des faits, les faits ne peuvent pas les ruiner. »

Pour Festinger, éclairé par ces illuminés, un individu engagé dans ce genre de situation sociale tente de réduire la dissonance, plutôt que d’abandonner ses croyances. La croyance du groupe ne fut ainsi jamais ébranlée par l’échec de la prophétie. Jamais les membres de la communauté n’émirent-ils la moindre parole de doute. En fait, « ils persévérèrent dans la sublimité de leur foi ». Les stratégies de réduction de la dissonance cognitive, explique Bronner, « relèvent d’une forme d’auto-manipulation mentale pour conserver l’essentiel : le cœur de la croyance ».

La force du soutien social

Léon Festinger énumère quelques conditions qui poussent un individu à un regain de ferveur, en dépit du démenti infligé par les faits. Ces conditions renvoient notamment à l’intensité de l’engagement du fidèle. Mais surtout, « il faut que l’adepte en tant qu’individu jouisse d’un soutien social à toute épreuve ». Un croyant isolé a peu de chances de tenir face au désaveu des faits, explique le psychologue. « Si, au contraire, il fait partie d’un groupe de fidèles capables de se fournir un soutien réciproque, on peut s’attendre à ce que la croyance soit maintenue : les fidèles se lancent dans le prosélytisme et tentent de convaincre les profanes de la justesse de leurs prédictions avortées. »

C’est pourquoi l’infirmation d’une prophétie peut être suivie d’un regain de prosélytisme auprès de fidèles regroupés. L’échec, en somme, n’est jamais que la victoire de la croyance. Imperméables au désaveu, les fidèles sont aveuglés par leurs délires. Plus de soixante ans après les événements relatés dans l’ouvrage, la lecture de ce classique reste, selon Gérald Bronner, auteur de La Démocratie des crédules (PUF, 2013), « une étape fondamentale pour commencer à comprendre le monde des croyances qui se porte très bien, malgré l’augmentation généralisée du niveau d’éducation et de la disponibilité de l’information caractérisant la société contemporaine ».

 

Préfacé par Gérald Bronner et traduit de l’anglais par S. Mayoux et P. Rozenberg, L’Échec d’une prophétie, de Leon Festinger, Henry W. Riecken et Stanley Schachter, vient de reparaître aux Presses universitaires de France. 384 p., 25€, disponible ici.

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