“Dictionnaire Dostoïevski”, de Michel Niqueux

Fédor Dostoïevski est né il y a deux cents ans, en 1821. Si vous êtes un peu impressionné par ses romans-fleuves peuplés d’assassins mystiques, de révolutionnaires sans scrupules, de bouffons machiavéliques et de femmes perdues, entrez dans son œuvre grâce aux 118 entrées de ce Dictionnaire rédigé par l’un des meilleurs spécialistes de la pensée russe, Michel Niqueux, professeur émérite à l’université de Caen-Normandie. Outre un aperçu de tous ses récits et ses romans, vous découvrirez les auteurs qui l’ont inspiré et qu’il a nourris (comme Freud, Nietzsche et Camus) et les idées forces qui traversent le magma incandescent de son univers. 

Voici un parcours possible, philosophique, à travers ce riche dictionnaire qui fait la part belle aux citations du romancier. Dans l’ordre alphabétique, bien sûr…

Chaos

Dostoïevski est l’un des premiers à montrer à quel point l’homme aime par-dessus tout « la destruction et le chaos ». Qu’on lui démontre qu’il vaut mieux consentir à un idéal social rationnel et pacifique, il préférera tout casser, même au prix de sa tranquillité. La psychologie du révolutionnaire ou du révolté d’aujourd’hui est là. 

Culpabilité

Se sentant certainement moralement coupable de l’assassinat de son père par ses serfs, le romancier en fait la strate la plus profonde de l’esprit humain. Même les assassins, les violeurs, les menteurs font le mal pour exorciser ce feu qui les dévore. La solution, qui inspirera tant Emmanuel Levinas, est la reconnaissance d’une culpabilité universelle, comme l’exprime le moine Zossime dans Les Frères Karamazov : « coupable devant tous et pour tout ». 

Le Double

Ce récit de jeunesse, dans lequel un petit fonctionnaire est torturé par son double malfaisant, introduit une figure centrale dans l’œuvre de Dostoïevski. Ses héros maléfiques et désespérés, comme Ivan Karamazov, auront eux aussi des doubles. Pourquoi ? Parce que ces êtres souffrent de solitude existentielle et ne savent pas tisser de lien équitable avec leurs semblables. Le double devient donc une manière de peupler, de façon fantasmatique, un monde sans autrui.

Les femmes

Entre les « femmes fatales », dotées d’un orgueil redoutable et d’une sensibilité exacerbée et les « douces », victimes de pervers manipulateurs, Dostoïevski a dessiné une humanité féminine pour le moins torturée. Il est vrai qu’il a toujours lutté pour ce qu’on appelait alors l’ « émancipation féminine ». 

Le Mal

Manifestation de notre liberté, le mal fait naître une étrange volupté chez celui qui le commet. Comme le dit le ténébreux Stavroguine dans une des variantes des Démons, « ce n’est pas le crime en lui-même que j’aimais […], mais cette joie que me donnait la conscience douloureuse de ma profonde bassesse ». Comment espérer, alors, en sortir ? 

Nihilistes

C’est le nom que l’on donne en Russie aux jeunes contestataires des années 1860-1870. Dostoïevski les dépeint dans toute la noirceur qu’il leur prête dans Les Démons. Chez eux le mal n’exprime plus la liberté mais se mue en despotisme idéologique.

Suicide

Il devient un enjeu philosophique, notamment avec ces personnages qui veulent se suicider par conviction métaphysique, comme Kirillov, toujours dans Les Démons : « Qui ose se tuer est Dieu. » Mais c’est en réalité le désespoir, causé par l’absence de relation éthique à autrui et par la victoire de l’idéologie sur la vie, qui anime les suicidés de Dostoïevski.

Vie vivante

Pour sortir du mal et de l’autodestruction, sans nier notre liberté, Dostoïevski propose, comme le dit Aliocha Karamazov, « d’aimer la vie plus que le sens de la vie », de « l’aimer avant toute logique ». Pour le romancier, qui tente de dessiner une éthique pour temps troublés, c’est l’amour du quotidien qui doit nous permettre de vaincre le découragement.

Le Dictionnaire Dostoïevski, de Michel Niqueux, vient de paraître aux éditions de l’Institut d’études slaves (320 p., 22,90 €). Vous pouvez vous le procurer sur le site de l’éditeur.