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Société

Devenir immortel, une quête sans fin

Octave Larmagnac-Matheron publié le 05 décembre 2022 5 min

Biostase, hibernation, cryogénie, etc. : il y a peu se tenait à Madrid un grand sommet sur les nouvelles techniques qui permettront peut être un jour à l’homme d’atteindre l’immortalité. Un rêve vieux comme le monde, qui possède une face sombre, analyse Hannah Arendt.

Le rêve transhumaniste

Atteindre l’immortalité est peut-être le désir le plus ancien et le plus universel de l’humanité. L’un des plus vieux mythes qui nous soient parvenus, l’Épopée de Gilgamesh, traite déjà d’une quête d’immortalité. S’y lit, évidemment, le négatif de l’angoisse la plus profonde, celle de la mort elle-même, certitude la plus ancrée et la plus insaisissable de l’existence humaine. Ce désir d’immortalité connaît aujourd’hui un regain d’intérêt à la faveur du transhumanisme, qui voit dans la mort non une donnée naturelle inévitable mais, de plus en plus, une maladie dont il serait possible de guérir. Cryogénisation, dédifférenciation et rajeunissement des cellules, téléchargement de l’esprit, etc. : les avancées technologiques, qui étaient au cœur du sommet de Madrid sur la question, permettent de plus en plus d’envisager, par l’innovation, une éradication de la mort.

Telle est la nouvelle figure, accaparée par quelques entrepreneurs – Peter Thiel, Elon Musk, Larry Page, etc. – du désir immémorial d’immortalité. Si elle procède en apparence d’une continuité, elle marque en réalité une rupture. C’est ce que montre le détour par une histoire de ce désir et de ses expressions, que déploie Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne (1958).

Histoire du désir d’immortalité

  • Immortalité grecque. Pour Hannah Arendt, « les Grecs se préoccupèrent de l’immortalité parce qu’ils avaient conçu une nature immortelle et des dieux immortels environnant de toutes parts les vies individuelles des hommes mortels. Placée au cœur d’un cosmos où tout était immortel, la mortalité fut le sceau de l’existence humaine. Les hommes sont “les mortels”, les seuls mortels existants » – même les animaux ont une forme d’immortalité, dans la mesure où ils existent non comme individus singuliers, mais comme espèce « dont l’immortalité est garantie par la procréation ». Comment immortaliser cette vie limitée dans le temps qui est le propre de l’homme ? À cette question, les Anciens apportent une réponse indirecte : il n’est pas question de réaliser une immortalité de la personne elle-même, mais de ses traces : des actes, des œuvres, des gestes par lesquels une personne a marqué l’histoire. « Aptes aux actions immortelles, capables de laisser des traces impérissables, les hommes, en dépit de leur mortalité individuelle, se haussent à une immortalité. » Encore faut-il, et c’est tout l’enjeu, qu’ils soient capables d’établir et de garantir un espace pérenne où puisse perdurer la mémoire du passé. Cet espace, c’est la polis, la cité, la communauté humaine. C’est son immortalité qui doit assurer l’immortalité des traces des hommes, en tant qu’« espace protégé […] et réservé à la relative permanence des mortels ».
  • Tournant platonico-chrétien. Cependant, cette immortalité se révèle précaire. « La chute de l’Empire romain démontra avec éclat qu’aucune œuvre humaine ne saurait échapper à la mort. » Si l’homme veut toucher l’immortalité, ce ne sera pas ici-bas, dans l’enceinte de la cité. Au moment même où l’immortalisation est ébranlée comme acte politique, elle est cependant récupérée dans un au-delà, sur le mode d’une survie de l’âme personnelle. De la mort au sensible qui permet, chez Platon, l’accès au monde éternel et immuable des idées à la doctrine chrétienne, la préoccupation se déplace : l’immortalisation n’est plus un horizon à atteindre mais une présupposition ; il ne s’agit plus de ménager les conditions matérielles de possibilité d’une survie de la mémoire, mais de procéder simplement à une certaine purification qui permette à l’âme, se détachant de l’ici-bas, de s’élever à sa vie au-delà dans les meilleures conditions. D’un enjeu collectif, politique, l’immortalité se mue en préoccupation individuelle, en souci du salut. « L’espèce de gloire que le monde peut conférer à l’homme devint illusion, puisque le monde était encore plus périssable que l’homme, et la quête d’immortalité en ce monde perdit tout son sens puisque la vie elle-même était immortelle. » Vouloir atteindre l’immortalité ici bas – projet faustien, démoniaque – devient un « vice privé de la vanité ».
  • Rupture contemporaine. Cet équilibre a été largement bouleversé par le développement très rapide des biotechnologies au XXe siècle. De plus en plus, certains penseurs transhumanistes croient possible de vivre à jamais ici-bas. Mais ces projets n’ont plus rien à voir avec la pratique antique de l’immortalisation : ils ne participent plus d’une logique collective, politique, mais de fantasmes égotiques d’individus suffisamment riches et puissants pour tenter de les mettre en application. Ces projets s’annonçaient déjà à l’époque d’Arendt. Lorsqu’elle écrit que « rien sans doute ne témoigne mieux de la perte du domaine public aux temps modernes que la disparition à peu près totale d’une authentique préoccupation de l’immortalité », il faut bien comprendre le sens du propos apparemment paradoxal : la préoccupation de l’immortalité n’a pas disparu (au contraire même : elle connaît des développement inédits et délirants), mais elle a disparu en son sens « authentique », antique, en tant que souci collectif. Arendt considèrerait certainement que le développement des projets transhumanistes exubérants de survie dans ce monde-ci est à la mesure du désinvestissement total, de l’abandon, de la désocialisation de la question de l’immortalité comme préoccupation collective. C’est parce que le politique a abandonné son souci originel de ménager un espace où la mémoire des hommes puisse perdurer que ce souci s’est reporté sur des initiatives dépolitisées.
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