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© Alexandre Lacroix

Enquête dans la Silicon Valley. Sauvegardez votre vie (pour l’éternité) !

Alexandre Lacroix publié le 25 septembre 2014 26 min

L’immortalité, un attribut divin ? Plutôt un problème technologique à résoudre, pensent les chercheurs et les ingénieurs de la région de San Francisco, qui pourraient à court terme rafler une bonne part du marché mondial de la santé. Notre directeur de la rédaction est allé à leur rencontre en Californie.

San Francisco a son microclimat : en été, une brume fraîche et grise envahit la ville. En me promenant sur la marina, à quelques encablures du Golden Gate Bridge, dont ne me sépare qu’une plage sur laquelle les pet sitters promènent les chiens de leurs riches employeurs, je remarque un peu par hasard le nom d’un bateau en bois, type sloop de flibustier : SINGULARITY. Étrange coïncidence. S’il est vrai que la Californie est un monde à part, qu’elle a son propre microclimat civilisationnel, son trait le plus caractéristique réside dans la déconcertante propension de ses habitants à faire descendre les rêves sur terre, à matérialiser les idées d’avant-garde. Et c’est justement pour enquêter sur la dernière idée en vogue, la Singularité, que j’ai fait le voyage jusqu’ici.

Mais reprenons les choses depuis le commencement : le concept de « singularité technologique » a été lancé par une fameuse communication de Vernor Vinge, mathématicien et auteur de science-fiction, lors d’un colloque organisé par la Nasa en 1993, « The Coming Singularity : How to Survive in the Post-Human Era ? » (« La Singularité qui vient. Comment survivre à l’ère posthumaine ? »). En faisant une analogie avec la théorie de la relativité générale, qui désigne les trous noirs comme des « singularités gravitationnelles », c’est-à-dire des objets d’une densité infinie au voisinage desquels les lois de la physique traditionnelles sont abolies, Vinge considère qu’un événement majeur va bientôt avoir lieu, la « singularité technologique », et qu’à partir de là toutes les lois de l’Histoire humaine vont être modifiées. En quoi consiste cet événement, « d’une importance comparable à l’apparition de la vie humaine » ? Les humains vont, de façon imminente – c’est-à-dire avant 2030, à en croire Vinge – « créer au moyen de la technologie une entité plus puissante que l’intelligence humaine ». Ce résultat pourrait être obtenu de plusieurs manières, soit que les ordinateurs deviennent plus intelligents que l’homme, soit que le réseau des ordinateurs « s’éveille », soit enfin que l’être humain connecte son corps à des ordinateurs ou modifie la biologie de son cerveau pour augmenter ses capacités. Dans tous les cas, Vinge prévient que cette entité superintelligente modifiera le cours de l’Histoire : il s’agira de la dernière machine inventée par l’homme, laquelle créera toutes les machines ultérieures et prendra les décisions de régulation globale (des flux financiers, des marchandises, des transports, etc.). Avec la Singularité, nous basculerons dans l’ère posthumaine.
 


La singularity University, centre d'échange et de recherches au cœur du Nasa Research Park
 

Cependant, le concept n’a vraiment été popularisé qu’en 2005, par le best-seller de Ray Kurzweil intitulé Singularity is Near (« La Singularité approche », Penguin, paru en France sous le titre Humanité 2.0 chez M21). Informaticien, inventeur brillant, futurologue, Kurzweil a été engagé par Google en 2012 comme directeur de l’ingénierie. À titre personnel, il semble résolu à combattre le vieillissement ; dans son livre, il explique qu’il prend près de deux cent cinquante pilules par jour (antioxydants, vitamines, aspirine, hormones…). Sinon, il raconte l’histoire de l’Univers depuis les origines comme une succession d’époques : il y eut d’abord l’« époque de la physique et de la chimie », du big bang jusqu’à l’apparition de la vie sur Terre ; celle-ci marqua l’entrée dans l’« époque de la biologie et de l’ADN », où la vie a pris son essor sur notre planète ; puis il y eut l’« époque des cerveaux », où des organismes complexes doués de conscience ont émergé, suivie par « l’époque de la technologie », qui a commencé avec les premiers outils du Néolithique. Or, selon ce schéma fortement anthropocentré et providentiel, nous serions au seuil d’un cinquième stade, qui débuterait vers 2045. Alors, nous entrerons dans « l’époque de la fusion entre la technologie et l’intelligence humaine ». Les conséquences seront innombrables selon Kurzweil : dans cette ère post-Singularité, l’humain se transformera en un être mi-biologique mi-informatique connecté au Web ; nous aurons la possibilité de nous rendre immortels, en téléchargeant notre conscience sur un ordinateur ; et, si nous sommes prudents, nous n’aurons pas à craindre les pannes d’électricité. « Tout le problème de l’immortalité se résumera à ceci : il faudra être assez prudent pour faire des sauvegardes régulières », affirme Kurzweil.

Ces thèses provocatrices ont donc achevé de mettre la singularité technologique à la mode : non seulement elle se trouve au cœur du scénario de nombreux films de science-fiction – comme cette année Her de Spike Jonze, où un humain tombe amoureux d’un logiciel intelligent, ou encore Transcendance de Wally Pfister, où Johnny Depp incarne un savant qui, juste avant de mourir, charge son cerveau sur un ordinateur –, mais la Singularité représente aussi une sorte d’idée régulatrice, de nouvelle utopie de la Silicon Valley. L’épicentre de ce phénomène est la Singularity University, fondée par Ray Kurzweil et en partie financée par Peter Thiel (lire notre dialogue), qui est l’une de ces organisations typiques de la Californie où des chercheurs universitaires de haut niveau et des entrepreneurs se rencontrent. D’une manière ou d’une autre, tous les interlocuteurs que je vais rencontrer au cours de ce séjour en Californie sont en rapport avec la Singularity University, bien qu’ils travaillent dans des domaines variés : certains sont des informaticiens spécialistes de l’intelligence artificielle, d’autres des biologistes et des médecins qui cherchent à améliorer le corps humain, d’autres enfin des théoriciens. Et pour faire connaissance avec ce microcosme, je dois dîner ce soir avec quelques directeurs de programme de la Singularity University, dans un restaurant français sur Franklin Street.

 

Le corps connecté

Dans sa communication à la Nasa, Vernor Vinge suggérait que les êtres humains connecteraient bientôt leurs corps aux ordinateurs, par exemple en branchant un câble directement dans le cerveau ou encore sur le nerf optique (qui a un débit honorable, de 1 mégaoctet par seconde, précise-t-il). Mais il y a quand même une barrière psychologique à franchir. Est-ce que vous accepteriez qu’on vous implante, mettons, un port USB au milieu de la nuque ? Je pose la question aux convives, au milieu du dîner.

« Bien sûr, je le ferais sans hésiter ! » répond Christine Peterson, spécialiste des nanotechnologies. À côté d’elle, Luke Muehlhauser, expert de l’intelligence artificielle, approuve : « C’est comme l’affaire des bébés éprouvettes. Après la première fécondation in vitro, les journalistes se sont précipités sur le nouveau-né pour s’assurer qu’il était bien normal. Depuis, la pratique s’est banalisée…

— Les résistances aux innovations tombent à chaque nouvelle génération, renchérit Christine. Ce qui vous est difficile à admettre paraîtra évident à vos enfants. »

J’avoue que, même si le pinot noir californien servi à cette table est excellent, j’ai du mal à me sentir grisé à la perspective d’avoir une puce électronique incrustée sous la peau ou des e-mails qui s’affichent en bas de ma rétine.

« Mais tout dépend de ce que vous entendez par connexion homme-machine, intervient Daniel Kraft, diplômé de l’école de médecine de Stanford, qui dirige les programmes médicaux de la Singularity University et a créé une autre organisation active dans le domaine de la prospective biomédicale, FutureMed. En réalité, nombre d’interfaces existent déjà. Certains pacemakers ont une adresse IP et sont pilotables via des applications. Lorsqu’il en a pris conscience, Dick Cheney [vice-président de George W. Bush de 2001 à 2009] a eu peur d’être victime d’un hacker.

— Ce qui n’aurait pas été une mauvaise chose », glisse un convive.

«On fabriquera vos médicaments sur mesure sur imprimante 3D. C’est ce qu’on appelle le bioprinting»

Daniel Kraft

Mais Daniel Kraft, imperturbable, continue sa liste : il existe des casques, pas plus lourds que des écouteurs de musique, qui permettent non seulement d’enregistrer les ondes du cerveau, mais aussi de manipuler des objets virtuels à distance ou de déplacer une souris sur un écran d’ordinateur – notamment le système Muse de la société Interaxon (allez voir la démonstration sur Internet, c’est étonnant) ; d’autres casques aident à lutter contre la fatigue intellectuelle, en stimulant le cerveau par des décharges électriques, mais ils n’ont pas été approuvés par la Food and Drug Administration ; les Google Glass, qui donnent accès à la réalité augmentée – lorsque vous regardez quelqu’un, toutes les informations accessibles en ligne sur cette personne défilent sur vos verres –, ne sont encore qu’à l’état de prototype, mais elles vont être allégées ou remplacées par des lentilles. Enfin, Daniel évoque un domaine de recherche émergent : l’optogénétique. Pour faire simple, cette technologie consiste à rendre certains neurones sensibles à la lumière, puis à les stimuler par des faisceaux lumineux envoyés grâce à de la fibre optique implantée dans le cerveau. Testé sur des souris, cela permet d’agir sur l’humeur de l’animal, de le rendre plus empathique ou plus actif. Une équipe de Stanford projette d’appliquer l’optogénétique au traitement de la dépression chez les humains…
 

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Article issu du magazine n°83 septembre 2014 Lire en ligne
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