Hors-série "Hannah Arendt"

Arendt : la naissance, une idée philosophique

Bérénice Levet publié le 3 min

En écoutant Le Messie de Haendel, Hannah Arendt a l’intuition, à rebours de Heidegger, que c’est vers la natalité, et non vers la mortalité, que doit se tourner la philosophie. Car le miracle, c’est d’être né. Elle suit en cela la leçon de Karen Blixen, pour qui tout vaut d’avoir été vécu, si c’est pour aboutir à une histoire.

 

« Tout se passe comme si, depuis Platon, les hommes ne pouvaient prendre au sérieux le fait d’être nés, mais uniquement le fait de mourir », note Arendt dans son Journal de pensée. Depuis Platon jusqu’à Heidegger pour le moins, avec lequel Arendt prend implicitement ses distances dans un bel article consacré au roman de Hermann Broch, La Mort de Virgile. Dans ce texte, elle rend hommage au romancier qui a compris la mort comme « tâche ultime », et a ainsi su échapper au « piège où les philosophes modernes sont tombés, faisant de la mort l’“horizon de la vie” » et, du même coup, de la vie « un don vicié par la mort ». La mort est, pour Arendt, le rappel que « la vie nous est donnée sous certaines conditions », et rien d’autre. 

Une promesse

Hannah Arendt est l’exemple rare d’une philosophe ayant médité l’événement de la naissance. Ce thème apparaît dans Condition de l’homme moderne. Nous savons par la lecture de sa correspondance et de ses cahiers que c’est en assistant, en 1952 à Munich, à une représentation de l’oratorio de Haendel Le Messie (partition ci-dessus), qu’elle a eu l’intuition de la fécondité métaphysique de la naissance. « Quelle œuvre ! écrit-elle à Heinrich Blücher. L’alléluia me résonne encore dans les oreilles et dans le corps. Pour la première fois, j’ai compris combien c’était formidable : un enfant nous est né. Le christianisme, c’est quand même quelque chose ! »

Expresso : les parcours interactifs
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