Des marionnettes et des hommes
Charleville-Mézières (Ardennes) accueille du 20 au 29 septembre 2013 la 17e édition du Festival mondial des théâtres de marionnettes. Mêlant les pratiques les plus traditionnelles aux recherches les plus contemporaines, le Festival réunit cette année une centaine de projets artistiques autour du thème retenu : « Passage ».
Après avoir créé un spectacle inspiré de La Chair de l’homme de Valère Novarina, l’actrice et plasticienne Aurélia Ivan crée L’Androïde, une expérimentation fondée sur sa lecture de Nietzsche. L’Androïde constitue le second volet d’un dyptique intitulé Homo urbanicus, dont l’ambition est de mettre en regard deux auteurs : Nietzsche et Slavoj Žižek.
En représentant l’homme et de ses paradoxes, ce spectacle « robotique » se donne l’ambition de rendre vivant les textes à partir de machines, soit de faire du vivant à partir de l’inerte. Un défi qu'Aurélia Ivan explique.
Philosophie magazine. Qu’est-ce que L’Androïde ?
Aurélia Ivan. L’Androïde, créé à l’occasion du Festival de Charleville-Mézières, s’inscrit dans une recherche et une série d’expérimentations et de créations interrogeant le rapport de l’homme à soi-même, à son corps et à son esprit.
Après avoir créé à partir de textes de Novarina et de Beckett, montrant la solitude des individus et la finitude de l’homme, je me suis penché sur deux textes, l’un de Nietzsche, l’autre de Slavoj Žižek, avec cette ambition de confronter l’homme à ses limites. Face à la machine, que pouvons-nous ? Suis-je ou puis-je être un Zarathoustra aujourd’hui, à savoir un surhomme dépassant sa condition, s’émancipant ?
Pourquoi avoir choisi la marionnette pour porter ce texte ?
La marionnette interroge mieux que quiconque la relation secrète entre le vivant et le non-vivant. Animant l’inerte pour montrer l’inertie du vivant, elle explore les limites du vivant et de l’inanimé, de leur rapport le cas échéant.
Le public conserve souvent l’image d’un art de la marionnette très archaïque. Mais, en réalité, la marionnette est un champ très libre. Il débute à mon sens avec l’inscription de la matière inerte et des volumes dans l’espace. L’exposition des œuvres de Ron Mueck à la Fondation Cartier, pour ne citer qu’un exemple, montre déjà, selon moi, un travail de marionnette. En représentant des humains surdimensionnés dans des postures expressives, l’artiste donne de l’envergure à une matière inerte ; il questionne ce paradoxe : composer du vivant à partir de l’inerte.
Pour répondre à la question qui fonde mon travail – un artiste peut-il être un Zarathoustra aujourd’hui et ouvrir de nouvelle voies de compréhension du monde ? – j’ai créé une « surmonarionnette » : un androïde, mi-homme mi-robot.
D’où est venu cet intérêt pour la marionnette ?
J’ai débuté la pratique de la marionnette après être passée par une formation classique au Conservatoire de Bucarest et par les arts plastiques. J’ai abordé la marionnette par ce biais plastique, se préoccupant de la place des objets dans l’existence, suivant une question fondamentale : l’art contemporain, qu’il soit plastique ou scénique, peut-il encore rivaliser avec notre société de l’image, proprement « spectaculaire », où les sollicitations visuelles saturent nos existences ?
Le théâtre dans sa forme classique, avec des acteurs face à un public, tenant un discours – ou parfois aucun discours, d’ailleurs –, ne parvient plus à bousculer les habitudes et notre regard sur le monde. L’usage de la technique, l’explosion des frontières artistiques dans un travail coordonné sur le son, les images, la projection et tous les types de présence dans l’espace, me semblent être essentielles pour renouer avec cette ambition.
À laquelle des humains se confrontent ?
Oui ! Deux humains sur scène font face à l’androïde. Ils s’y confrontent pour explorer les limites de cette cohabitation. Qui contamine qui ?
Le point de rencontre entre l’homme et la machine est un fantasme : toutes les tentatives de d’augmentation ou de recréation de l’humain demeurent une façon de matérialiser des fantasmes d’immortalité. C’est cette « Condition de l’homme moderne » que désigne Hannah Arendt : toute production, travail, action, tend vers une quête d’immortalité. L’écrivain Philip K. Dick, auteur de science-fiction et père de Blade Runner, le dit d’une autre manière.
L’Androïde, adapté de Nietzsche, a pour pendant Le Crash, adapté de Vivre la fin des temps de Slavoj Žižek. Quel rapport entre ces deux textes ?
Deux regards, deux discours, deux images complémentaires, dressant dans leur réunion le portrait de notre humanité : l’annonciation de la fin du système capitaliste dans une apocalypse à venir et l’annonciation de temps nouveaux avec l’arrivée du surhomme !
À noter : un café philosophique animé par Philippe Choulet se tiendra les mardi 24, mercredi 25, jeudi 26 et vendredi 27 septembre à 11h au Chapiteau Nomad, à Charleville-Mézières.
Philippe Choulet interviendra brièvement sur certains problèmes esthétiques, artistiques, moraux ou sociaux, voire politiques, de la marionnette. Parmi les thèmes abordés : La main // Le pantin est-il mon autre ? // Marionnette est artifice // Que veut faire le marionnettiste ? // La marionnette : vivante ?
Toutes les informations sur le site du Festival.
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