Derrière l’écran

Éric Sadin publié le 4 min

À l’ère des big datas, du tracking informatique et de la vidéosurveillance, “1984” d’Orwell a-t-il enfanté d’un monstre non plus dictatorial mais technolibéral?

George Orwell fait partie de ces consciences qui, en toute indépendance, ont cherché à identifier les ressorts des pouvoirs totalitaires. Il a su saisir que leur assise ne pouvait dépendre de la valeur de leur système organisationnel, mais requérait une connaissance détaillée de la vie des personnes afin de s’assurer qu’elles agissent conformément à la norme prescrite. Cette lucidité s’est formalisée dans l’un de ses maîtres ouvrages, 1984, qui érige la surveillance comme la condition impérative à la pérennité de toute autocratie.

Le livre résulte d’un double choix stratégique. D’abord, celui de ne s’être pas engagé dans une recherche ardue portant sur des procédés qui, par définition, échappent à la visibilité, ayant misé sur son intuition et privilégié la fiction plutôt que la théorie. Ensuite, celui d’avoir réglé le niveau de l’étau coercitif à son seuil maximal, ne tolérant aucune échappatoire.

Ce cadrage lui a permis d’exercer pleinement sa liberté d’auteur d’où ont découlé deux coups de génie. Le premier est d’avoir imaginé une technologie de pouvoir par excellence : le télécran. Dispositif autorisant le suivi ubiquitaire des corps dans les espaces publics ou privés, et qui induit son intériorisation par les individus même lorsqu’ils se situent « hors cadre » – à l’instar du panoptique, l’architecture carcérale conçue par Jeremy Bentham [1748-1832], qui offre une vision de l’ensemble des cellules, de surcroît perçue par les prisonniers comme étant virtuellement permanente.

Expresso : les parcours interactifs
Comme d'habitude...
On considère parfois que le temps est un principe corrosif qui abîme les relations amoureuses. Mais selon le philosophe américain Stanley Cavell l'épreuve du quotidien peut être au coeur d'un principe éthique : le perfectionnisme moral, qui permet à chacun de s'améliorer au sein de sa relation amoureuse.
Sur le même sujet
Article
10 min
Michel Eltchaninoff

Nous savons désormais que nous sommes sous surveillance. Comment réagir ? Bien avant l’avènement du big data, des philosophes ont mis au point des…

Manuel de survie dans les sociétés de contrôle



Entretien
7 min
Catherine Portevin

Antoinette Rouvroy propose une relecture de Foucault à l’heure du numérique, du Big Data et de l’hyper-puissance. Ou le triomphe de la potentialité mise en algorithme par le profilage, au mépris de la singularité et de l…



Article
9 min
Bruce Bégout

La surveillance généralisée des individus, exprimée dans la figure de Big Brother, n’est inquiétante que par contraste avec ce qu’elle rend problématique : la liberté de mener une existence ordinaire et intime loin des sommations et des…


Article
3 min
Octave Larmagnac-Matheron, Sven Ortoli,

Dans l’univers complexe qu’il avait créé, Tolkien avait même croqué à sa manière un Big Brother avant la lettre. Petit panorama des éléments de sa…

Tenir à l’Œil : Tolkien et la surveillance

Article
2 min
Victorine de Oliveira

C’est retiré sur une petite île d’Écosse qu’Orwell, à la fin de sa vie, a rédigé son grand-œuvre.