Hors-série "Foucault. Le courage d’être soi"

Antoinette Rouvroy : de la surveillance au profilage

Antoinette Rouvroy, propos recueillis par Catherine Portevin publié le 7 min

Antoinette Rouvroy propose une relecture de Foucault à l’heure du numérique, du Big Data et de l’hyper-puissance. Ou le triomphe de la potentialité mise en algorithme par le profilage, au mépris de la singularité et de l’imprévisibilité des sujets.

 

Comment Foucault vous aide-t-il à penser la société de surveillance que le numérique construit aujourd’hui ?

Antoinette Rouvroy  Il m’aide justement à ne pas la voir comme une société de surveillance ! La pensée de Foucault est une toile de fond qui me permet de distinguer ce qui, avec le numérique, nous emmène bien au-delà de Foucault. Je m’explique. Je l’ai beaucoup lu lorsque je préparais ma thèse en philosophie du droit sur la génétique 1. J’y analyse la manière dont les discours survalorisant le caractère prédictif des gènes produisent une forme de discipline sur les corps et une hyper-individualisation des risques, jusqu’à accréditer la nécessité de la fin de l’État-Providence. Là, j’étais en plein dans la biopolitique de Foucault, c’est-à-dire une forme de pouvoir qui s’exerce sur le vivant, sur les corps, par une surveillance individualisée.

Mais, lorsque je me suis intéressée ensuite aux nouvelles pratiques statistiques, rendues souveraines par la numérisation massive de données – les Big Data –, je me suis rendu compte qu’on s’éloignait très fortement de ce type de pouvoir. Au milieu des années 1970, lorsque Foucault formalise son concept de « biopolitique », l’informatique existait mais la cybernétique des années 1950 inspirait surtout la science-fiction ; l’intelligence artificielle était balbutiante. On pouvait à la rigueur imaginer une surveillance automatisée, une télésurveillance, avec un surveillant machinique qui, sans être vu, fait savoir qu’il voit – c’est le principe du Panoptique de Bentham, dont parle Foucault. Mais nous ne sommes plus du tout dans ce modèle de la surveillance, ne serait-ce qu’au sens strict ; si les algorithmes nous gouvernent, ils ne nous regardent pas, rien ne passe par le visuel. L’image d’un œil surplombant qui verrait tout et chacun est inopérante pour comprendre la société numérique.

 

Vous utilisez pourtant le terme foucaldien de « gouvernementalité ». Pourquoi ?

La pensée de Foucault demeure pour moi très féconde. J’ai repris les trois socles qui la structurent – savoir, pouvoir, sujet – pour les réexaminer à l’œuvre dans les Big Data : comment, par la transformation de données en informations, le savoir est-il produit ? Comment le pouvoir s’exerce-t-il, et lequel ? Quelle construction du sujet est-elle possible dans cet univers ?

Expresso : les parcours interactifs
Épicure et le bonheur
Pourquoi avons-nous tant de mal à être heureux ? Parce que nous ne suivons pas le chemin adéquat pour atteindre le bonheur, nous explique Épicure, qui propose sa propre voie. 
Sur le même sujet


Article
10 min
Michel Eltchaninoff

Nous savons désormais que nous sommes sous surveillance. Comment réagir ? Bien avant l’avènement du big data, des philosophes ont mis au point des…

Manuel de survie dans les sociétés de contrôle



Article
3 min
Dominik Erhard

Foule en sueur, promiscuité des corps et décibels à fond dans les oreilles, d’un point de vue virologique, les clubs sont un désastre. Raison pour…

Foucault et l’hétérotopie des boîtes de nuit


Article
5 min
Cédric Enjalbert

Psychanalyste, essayiste et cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF), Antoinette Fouque est morte jeudi 20 février 2014 à l’âge de…

Et si on parlait de parité ?