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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Kabita Darlami/Unsplash

De la sollicitude

Ariane Nicolas publié le 17 novembre 2023 3 min

« Comment allez-vous ? Pardonnez-moi de poser cette question prosaïque qui, penserez-vous peut-être, n’a pas sa place dans notre “lettre de la rédaction”… Pourtant, au vu de l’actualité qui ne cesse de s’assombrir, entre les guerres, les tourments climatiques et l’inflation, cette interrogation semble redevenir tout sauf banale. Elle renvoie aussi à une belle et discrète notion philosophique, que j’aimerais évoquer avec vous : la sollicitude.

Demander à quelqu’un comment il va fait partie des réflexes de communication auxquels on ne prête guère plus attention. Personne, ou presque, ne répond au débotté : “Pas très bien, en fait, merci de poser la question.” Même quand ça ne va pas trop, on répond la plupart du temps que “ça va”. Ou bien “ça vaaaa…”, avec un renfrognement pudique, de sorte que la conversation ne s’engouffre pas trop dans la pénombre. Lorsqu’on est gagné par une météo intérieure maussade, proche de ces trombes de pluie qui nous tombent dessus sans interruption depuis un mois, on se dit que la personne en face doit vivre peu ou prou la même chose. Notre rôle est alors de l’aider à aller aussi bien que possible, de répandre un peu de joie, timidement, en espérant bénéficier en retour de ce rayon de soleil né artificiellement de notre volonté.

Depuis quelques semaines, j’ai l’impression qu’à peu près tout le monde va mal, mais que personne ne le dit. Projection intérieure ? Peut-être. Il n’en demeure pas moins que lorsque je lance cette phrase déjà mille fois prononcée “Salut, ça va ?”, je ne le fais plus de manière anodine. J’ai réellement envie qu’on me dise comment ça va, car je soupçonne en face une dissimulation qui tient moins de convenances sociales que de la difficulté – voire de la honte – à reconnaître que la réponse pourrait être négative. Mais comment le faire sans paraître brusque ou intrusive ? C’est tout l’art, je crois, de la sollicitude. Cette idée définit une attention sincère portée à autrui, un besoin de savoir qu’il parvient à faire face, qu’il tient debout, sans pour autant effacer toute distance entre lui et moi. Solliciter, sans s’ingérer.

C’est peut-être dans ce subtil maintien d’une distance que la sollicitude se distingue du soin – ce que l’on nomme parfois l’“éthique du care”. Il me semble que la sollicitude paraît davantage fugace, et en même temps, qu’elle relève moins d’un travail que d’une préoccupation intime. On se fait du souci pour l’autre, sans but prédéfini ni certitude de pouvoir lui être d’une quelconque aide – on est plutôt, à l’inverse, conscient de nos propres limites voire de notre impuissance. Si l’on sollicite autrui, c’est d’abord sur le mode interrogatif, du “si tu as besoin de”, “n’hésite pas”. L’autre peut acquiescer, hésiter ou refuser ces égards. Avant que d’être considéré comme un individu vulnérable, l’autre reste à nos yeux un être libre à qui on laisse la primeur de prendre soin de lui. La sollicitude est une marque de disponibilité plus qu’une injonction à secourir ou un pur dévouement.

Cette ouverture à autrui fait de la sollicitude un concept éthique majeur, auquel Paul Ricœur a consacré de formidables pages dans Soi-même comme un autre (1990). Le philosophe considère notamment que la sollicitude ne répond pas à un devoir, ce qui la distingue en cela de la morale au sens classique du terme.

“Notre pari est qu’il est possible de creuser sous la couche de l’obligation et de rejoindre un sens éthique qui n’est pas à ce point enfoui sous les normes qu’il ne puisse être invoqué comme recours lorsque ces normes deviennent à leur tour muettes face à des cas de conscience indécidables. C’est pourquoi il nous importe tant de donner à la sollicitude un statut plus fondamental que l’obéissance au devoir. Ce statut est celui d’une spontanéité bienveillante”

Paul Ricœur, op. cit.

La sollicitude consacre ainsi le “primat de l’autre”. Elle en fait état de manière absolue, sans pour autant donner des clés pour bien agir. C’est une simple reconnaissance du “caractère irremplaçable” de l’autre, qui précède et détermine le reste, indépendamment des circonstances et des particularités de cette personne qui se présente à moi. Et j’aime finalement à croire qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence si le mot “solitude” est brisé, coupé en deux et comme empêché d’exister, à travers celui de “sollicitude”. »

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