David Mimoun : “La vie a-t-elle pu commencer ailleurs que sur Terre ?”

Sept minutes de suspense pour la Nasa, et sept minutes d’émerveillement pour l’humanité. Les images de l’agence spatiale américaine montrant Perseverance se poser sur Mars après un voyage de sept mois dans l’espace ont fait le tour du monde. Mais le son transmis par le robot mobile est tout aussi fascinant. David Mimoun, professeur à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace à Toulouse, est avec son équipe à l’origine du microphone intégré au rover (ou astromobile, pour être linguistiquement plus hexagonal). Fruit d’un travail de cinq ans, ce micro vient d’envoyer aux scientifiques les premiers signaux sonores enregistrés. L’un des premiers hommes à avoir entendu la planète rouge, à plus de 70 millions de kilomètres de la Terre, nous parle du caractère à la fois magique et scientifique de ces enregistrements, qui devraient être rendus publics prochainement. Ceux-ci devraient notamment contribuer à déterminer s’il y a eu, un jour, de la vie sur Mars. Entretien.

“L’amarsissage” de Perseverance, le 18 février dernier.

Quelle est votre rôle au sein de la mission Perseverance ?

David Mimoun : Je suis responsable scientifique du microphone du rover. Avant toute chose, il est important de comprendre ce que sont les objectifs de Perseverance. Comme en philosophie, il y a toujours une question derrière une mission scientifique. Ici, la question est absolument vertigineuse, l’interrogation étant en réalité de la même essence que celle de Giordano Bruno [penseur révolutionnaire du XVI^e siècle mis à mort pour hérésie, qui avait entrevu parmi les premiers l’immensité de l’univers] : la vie a-t-elle pu commencer ailleurs que sur Terre ? Car si la vie a pu commencer sur la Terre et sur Mars, alors nous pourrons affirmer comme lui « qu’il existe une infinité de terres, une infinité de soleils ». Le raisonnement sous-jacent est le suivant : si, pendant quelques centaines de millions d’années, il y a eu de l’eau sur Mars, et que la vie a bel et bien démarré, cela signifie qu’elle a pu démarrer partout. Et que, partout dans l’univers, il suffit d’eau, de chimie et de temps pour que la vie démarre. Perseverance est le premier volet de deux missions visant à ramener des échantillons de la planète Mars sur Terre, dans le but de répondre clairement à cette question des débuts de la vie. Notre robot géologue a donc pour objectif de sélectionner les meilleurs échantillons de roches possibles dans le cratère Jezero, c’est-à-dire dans une zone où il y a eu de l’eau présente pendant un temps assez long. On y a observé les alluvions d’un delta, les traces d’une rivière fossile en quelque sorte, avec des roches calcaires similaires à celles que vous verriez à Étretat. Or, ce type de roches conserve généralement des signes de vie. Au cours de ses pérégrinations, Perseverance va pouvoir faire la sélection des échantillons, les meilleurs possibles, en les laissant derrière lui pour qu’ils soient récupérés par une autre mission. C’est pour cela que le rover est équipé d’un instrument, construit en grande partie en France – la « SuperCam » qui utilise, entre autres, un laser permettant d’analyser les roches à distance. Au sein de cette équipe, nous sommes responsables du microphone intégré et qui a pour objectif principal de déterminer des propriétés de dureté de la roche, le tout, jusqu’à sept mètres de distance. 

Que cherchez vous à enregistrer ?

Si nous utiliserons le micro principalement pour écouter les impacts du laser sur les roches, ce que l’on entend dès qu’on l’allume, c’est l’atmosphère. Écouter le vent peut être quelque chose de poétique, mais l’information contenue dans ces enregistrements a également une valeur scientifique très importante, nous permettant de comparer les phénomènes atmosphériques sur Terre et sur Mars. Un autre objectif important pour nous, scientifiques terriens, est la planétologie comparée. Tout comme la médecine connaît mieux une maladie en soignant plusieurs patients, nous aimons comparer les planètes. Comprendre l’atmosphère de Mars permet de mieux comprendre les phénomènes atmosphériques terrestres. Explorer et écouter Mars, c’est mieux comprendre la Terre. Enfin, la dernière chose – profondément humaine – est la découverte des sons d’une autre planète. Les premiers sons sont arrivés, et ils sont absolument fascinants !

À quoi ressemblent-ils ?

Ils seront diffusés publiquement dans les prochains jours. Pour vous donner une idée, l’atmosphère de Mars est très peu dense et filtre les hautes fréquences. Cela fait que nous avons un son étouffé, un peu sourd. La planète est baignée d'infrasons, des fréquences basses, qu’on détecte très bien dans son atmosphère depuis la mission InSight en 2018. Ces sons ne sont pas audibles pour une oreille humaine.

J’imagine qu’entendre les premiers sons de Mars vous a ému... 

Absolument ! Lorsque l’on ferme les yeux et qu’on écoute les sons d’une autre planète, c’est une expérience incroyable.

A-t-il été difficile de convaincre la Nasa d’équiper la sonde d’un microphone ?

La Nasa ne voulait pas envoyer de microphone dans l’espace sans objectif scientifique, ou uniquement pour écouter le son que la planète produit. Avec Sylvestre Maurice, le responsable de l’instrument SuperCam, nous avions une question scientifique bien définie, et nous avons dû batailler pour convaincre nos pairs de sa pertinence…

D’un autre côté, tout le processus de descente du robot sur Mars a été filmé. Cela répond peut-être à un objectif scientifique, mais également à un processus de communication. Qu’en est-il du son ?

Bien évidemment, le son fait rêver : grâce au son, nous sommes pratiquement nous-mêmes sur Mars. Hier, nous avons reçu de nouveaux enregistrements du rover, et c’est peu dire que nous en sommes très contents. Rien qu’en écoutant le son, nous en savons plus sur le vent et sur les infrasons qui habitent la planète, par exemple. Sur Mars, le vent moyen est de 20 km/h et peut monter jusqu’à 100 km/h. Cela correspond pourtant à l’impression que nous donnerait une légère brise, étant donné la différence de pression atmosphérique avec la Terre.

Pas de grandes tempêtes de poussières sur Mars ? Ces visions de canyons martiens secoués par de grands vents catabatiques sont irréelles ?

Non, il y a effectivement de grands vents catabatiques sur Mars, mais ceux-ci ne soulèvent que la poussière, qui est très fine !