Dans la peau d’un livreur à vélo

Jeudi soir. Il est 19h, je me dirige à vélo vers la place de Clichy, à Paris. C’est le lieu de rencontre fixé la veille avec Riad (le prénom a été modifié), livreur de repas pour la plateforme Just Eat. L’endroit est un « hot spot », une zone avec un fort taux de commandes : « C’est là où j’ai l’habitude de commencer mon “shift” [quart de travail] », m’explique-t-il au téléphone.

C’est donc avec ces deux anglicismes en tête, mon a priori renforcé sur cette profession « ubérisée » et une légère appréhension de ne pas tenir le rythme, que je retrouve mon livreur. Si le jeune homme a accepté que je le suive le temps d’une soirée, trouver pareil accompagnateur n’a pas été chose facile. Pendant plusieurs jours, j’ai d’abord traîné sur des groupes Facebook à la recherche de volontaires, en montrant patte blanche. Il faut dire que le métier n’a pas bonne presse : « Des attroupements de livreurs se multiplient sur la voie publique, rendant la vie infernale pour les riverains et les restaurateurs », pouvait-on lire récemment dans les colonnes d’un célèbre quotidien. Comme si ces commandes qui se multiplient n’étaient ni le fruit des riverains eux-mêmes, ni une aubaine économique pour le secteur de la restauration en plein Covid-19.

Riad, lui, acceptera ma compagnie sans trop poser de questions – à la seule condition que je ne le ralentisse pas dans son travail. « J’espère que tu es en [bonne] condition physique », me lâche-t-il en riant, avant de commencer notre tournée.

© Pierre Terraz

Du slalom

Il est 19h30, la première commande sonne sur le téléphone de Riad. Direction la gare Saint-Lazare pour récupérer un plat dans une célèbre chaîne de fast food et le déposer chez un client, à quelques kilomètres de là. Commence alors, pour le novice que je suis, une véritable épopée sur deux-roues. Si les cyclistes parisiens ont la fâcheuse habitude de griller les feux rouges, j’ai cette fois affaire à un professionnel. Habillé en uniforme orange fluo – est-ce un hasard, ou l’unique précaution prévue par l’employeur ? –, notre homme roule à tout berzingue dans les rues de la capitale. « Tu vois le chronomètre, sur mon téléphone ? Là, il est bleu, et quand on est en retard, il devient rouge. Les chefs ont accès à notre GPS », m’explique Riad. « Je n’hésite pas à griller les feux, à prendre des sens interdits ou à rouler sur le trottoir pour aller plus vite. Je n’y suis pas contraint, mais je ne veux pas livrer mes clients en retard ! Quand tu es salarié comme moi, ça va, mais quand tu es payé à la course, ça affecte vraiment ton rendement. Certains sont dans le speed, c’est limite la bagarre pour récupérer les commandes, ils pressent le service… Parfois, ils prennent deux ou trois commandes en même temps, il faut que ça fuse », précise-t-il. Se faufiler est tout un métier.