Comment rendre les bonnes résolutions plus efficaces, avec Olivier Sibony

Le chercheur en sciences de la décision Olivier Sibony, qui a apporté une passionnante contribution au dossier « Comment prendre la bonne décision ? » du nouveau numéro de Philosophie magazine à retrouver dès aujourd’hui chez votre marchand de journaux, donne ici un point de vue informé sur le rituel des bonnes résolutions de début d’année. D’où il ressort qu’elles sont souvent loin d’être vaines…

Qu’est-ce qu’une bonne résolution ?

Olivier Sibony : Une bonne résolution, c’est une promesse que l’on se fait à soi-même d’être une personne différente de celle que l’on a été jusqu’à présent, ou, de manière plus concrète, d’avoir un comportement différent de celui qu’on a eu jusqu’à maintenant. On a tendance à prendre des bonnes résolutions en début d’année, parce qu’on pense qu’un marqueur temporel rend ce type de décisions plus efficaces.

Est-ce exact ?

Oui, les études empiriques le confirment. La spécialiste de ce sujet est Katy Milkman, chercheuse en psychologie comportementale à l’université de Pennsylvanie, qui a travaillé sur le « fresh start effect » ou « effet nouveau départ ». Ses travaux montrent que, si vous associez un changement de comportement à une date qui est significative pour vous, ce changement aura plus de chances de se réaliser. Je vais vous donner deux exemples. Aux États-Unis, il n’est pas obligatoire de cotiser pour une assurance retraite. Quand on envoie une lettre incitant à ouvrir un compte d’épargne ou à épargner davantage, un certain pourcentage de personnes le font. Si l’on écrit dans la lettre : « Ouvrez un compte d’épargne à partir de votre prochain anniversaire », le pourcentage est beaucoup plus élevé. Katy Milkman a fait une expérience du même type auprès de ses étudiants. Elle les a d’abord incités à identifier un comportement qu’ils voulaient changer, comme pratiquer plus de sport, se mettre au régime ou dormir plus tôt. Ensuite, la moitié d’entre eux ont reçu un rappel leur disant : « Vous devez changer à partir du 20 mars », et l’autre moitié : « Vous devez changer à partir du premier jour du printemps ». Cela marche beaucoup mieux dans le second cas, or le premier jour du printemps tombe le 20 mars. Ainsi, disposer d’une date significative facilite la mise en œuvre de la résolution.

“Nous ne pensons pas le temps de notre vie comme un écoulement linéaire, nous nous le représentons au contraire avec des phases ou des chapitres”
Olivier Sibony

Comment expliquer ce mécanisme psychologique ?

La raison de fond, c’est que nous ne pensons pas le temps de notre vie comme un écoulement linéaire, nous nous le représentons au contraire avec des phases ou des chapitres. Il y a eu vos études, puis votre premier job, et le deuxième… Quand vous associez un nouveau comportement au commencement d’un nouveau chapitre, il est beaucoup plus facile de le maintenir.

N’y a-t-il pas de mauvaises bonnes résolutions, parce qu’elles sont dès le départ irréalistes ou inadaptées ?

Deux critères me viennent à l’esprit. D’abord, il convient de faire en sorte que l’effort soit fractionné. Vous avez beaucoup plus de chances d’épargner 5 euros par jour que 150 euros par mois. Si vous vous fixez de perdre 300 grammes par semaine, vous avez plus de chances d’y parvenir que si vous voulez perdre 4 kilos en trois mois. Un défi découpé en petites étapes est bien plus facile à relever. Ensuite, il convient de réfléchir à la question de l’engagement. Si vous annoncez à tous vos amis et collègues que vous allez courir un marathon cette année, il sera beaucoup plus difficile de ne pas le faire. Une étude amusante a été menée sur des médecins pour qu’ils prescrivent moins d’antibiotiques : on leur a proposé de signer une déclaration dans laquelle ils s’engageaient à réfléchir plus longtemps avant de prescrire des antibiotiques, à signer cette déclaration et à l’afficher dans leur salle d’attente. Notez bien qu’il n’y a aucune pénalité, personne pour les surveiller. Ce simple engagement réduit d’environ un tiers la surprescription d’antibiotiques. Par ailleurs, les réseaux sociaux rendent aujourd’hui très facile de publier ses bonnes résolutions, ce qui incite à s’y tenir.

N'y a-t-il pas aussi des applications pour cela ?

Si, absolument, notamment Stickk. Elle vous permet de prendre un engagement vis-à-vis de votre réseau et de le rendre public, mais en ajoutant une pénalité monétaire. Vous désignez parmi vos proches un arbitre, un juge, qui vérifiera si vous avez atteint votre objectif ou non. Par exemple, vous voulez avoir perdu 5 kilos d’ici au 15 juin. Si jamais vous n’y êtes pas parvenu, une somme que vous avez prédéfinie – mettons 200 euros – est prélevée sur votre compte. Pour que cela marche encore mieux, vous pouvez choisir que cette somme soit reversée non pas à une bonne cause, mais à une mauvaise cause. Par exemple, si les 200 euros sont transférés automatiquement par l’application à un parti politique que vous détestez, vous aurez une motivation exceptionnelle.

Vous ne faites donc pas partie de gens qui ironisent sur l’inutilité du rituel des décisions de début d’année ?

Non, pourquoi ? Si les gens veulent s’améliorer, et qu’ils y parviennent quelquefois, je le vois comme une bonne chose. On lit souvent que 80 % des bonnes résolutions échouent, dont un tiers avant la fin du mois de janvier. Mais c’est comme le verre à moitié plein, vous pouvez le voir comme un succès : ce chiffre signifie que 20 % des gens ont réussi à modifier quelque chose qui importait à leurs yeux dans leur vie. Par ailleurs, je pense qu’en France, la rentrée de septembre se prête aussi extrêmement bien à prendre des bonnes résolutions, peut-être même plus encore que le mois de janvier. Il y a la rentrée scolaire, politique, sociale, littéraire… Du coup, si vos bonnes résolutions de janvier échouent, vous pourrez profiter de la session de rattrapage ! D’ailleurs, je m’aperçois que je viens d’offrir une magnifique excuse à tous les procrastinateurs qui nous lisent : attendez septembre, ça marchera encore mieux !