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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Des civils et des équipes de secours tentent d'atteindre des résidents piégés dans des bâtiments effondrés à Diyarbakir, en Turquie, lundi 6 février 2023. ©IHA agency/AP/Sipa

Séisme en Turquie et en Syrie

Catastrophes naturelles : entre solidarité et jeux de pouvoir

Octave Larmagnac-Matheron publié le 06 février 2023 5 min

Au moins 4 500 morts : c’est le terrible bilan humain, qui risque de s’alourdir, du séisme de magnitude 7,8 qui a frappé la Turquie et la Syrie dans la nuit du dimanche 5 au lundi 6 février. Ce type de drames humains met en lumière deux logiques antagonistes : les mécanismes de solidarité spontanée et la reprise en main autoritaire de l’État. Analyse avec Rebecca Solnit.


Pillages, violences, vols… Dans notre imaginaire collectif, les catastrophes (et l’ébranlement des institutions qu’elles engendrent) entraînent une désinhibition des comportements de concurrence, de compétition, de rivalité et d’agressivité. L’urgence vitale produirait une vague d’égoïsme confinant in fine à l’anarchie destructrice de la lutte de tous contre tous – le cinéma post-apocalyptique le montre bien, mettant en scène des situations d’anarchie terrifiante.

La réalité est, cependant, tout autre : les catastrophes sont, bien plutôt, des moments d’entraide, de solidarité. C’est ce que souligne notamment l’essayiste américaine Rebecca Solnit dans Un paradis en enfer. Quand des communautés extraordinaires naissent du désastre (à paraître aux éditions de L’Olivier) : « Ce qui se produit en réalité, c’est un tout autre genre d’anarchie, où les citoyens s’organisent par eux-mêmes et prennent soin les uns des autres. » La catastrophe ne réveille pas l’égoïsme enfoui, mais un altruisme spontané, souvent bridé par des institutions qui, accaparant la prise en charge d’autrui, confine précisément l’individu dans les frontières étroites de son existence individuelle. Le cas de la Turquie ne fera certainement pas exception.

« Reprendre le pouvoir »

Le philosophe anarchiste Kropotkine, dont se réclame Rebecca Solnit, voyait déjà, dans ce sens inné de la solidarité lors des périodes critiques, non seulement un trait humain, mais aussi un trait du vivant en général : « Si, pendant la migration, leurs colonnes sont surprises par une tempête, les oiseaux des espèces les plus différentes sont amenés à se rapprocher par le malheur commun. » Kropotkine conteste en particulier, dans L’Entr’aide, un facteur de l’évolution (1906), l’idée commune selon laquelle la « sélection naturelle » des plus aptes serait tout particulièrement exacerbée en période de crise : les animaux qui survivent à une catastrophe « ne sont ni les plus forts, ni les plus sains, ni les plus intelligents ». Ils s’en sortent pour autant qu’ils peuvent compter sur la solidarité du groupe.

Comment en est donc venue à s’imposer, contre les faits récurrents attestant de la réalité anthropologie optimiste, une vision marquée par une anthropologie négative ? La réponse, pour Rebecca Solnit, tient au rôle de l’État. Les catastrophes naturelles entraînent, de manière quasi systématique, une intervention de la puissance publique. Une intervention visant à aider les populations, à secourir les blessés, et, sur un plus long terme, à réparer les lieux détruits – les autres institutions ne peuvent plus fonctionner normalement. Ce discours bienveillant se double cependant d’un autre, dont il paraît indissociable comme le relève l’essayiste Rebecca Solnit : « La tâche du gouvernement, décrite d’ordinaire comme le “rétablissement de l’ordre”, est de reprendre la ville et le pouvoir » – notamment par l’envoi sur place de l’armée ou de la garde nationale.

Légitimer le pouvoir de l’État

Mais pourquoi donc faudrait-il maintenir l’ordre, si l’ordre n’est pas menacé par la catastrophe ? C’est que, pour Solnit, la légitimité du pouvoir politique elle-même est mise à l’épreuve par la tempête : « Après une catastrophe, le gouvernement est impuissant comme s’il avait été renversé et la société civile réussit comme si elle s’était soulevée. » Dans l’autogestion du désastre s’éprouve une autonomie au sens fort : la capacité spontanée des individus en situation à prendre en charge collectivement les défis qui se posent à la communauté qu’ils forment. Se révèle, du même coup, l’inutilité relative de la tutelle étatique, dont l’affirmation participe des processus de légitimation du pouvoir de l’État.

L’action de celui-ci est acceptable pour autant qu’elle conjure, contient ou met à distance un chaos larvé qui menace de détruire le corps social. Au cœur du désastre, le spectre de la dissolution sociale apparaît pour ce qu’il est : un fantôme, une illusion – une mystification intéressée qui place les citoyens en situation de dépendance. L’épreuve de la catastrophe met en branle un mouvement que Rebecca Solnit n’hésite pas à qualifier de « révolutionnaire : « Une révolution ne renverse pas un régime, elle lui dénie son droit de gouverner. Une catastrophe ne fait pas moins. » Elle entraîne, bien souvent, des « mesures répressives » pour endiguer la vérité, destabilisante, qu’elle fait éclater au grand jour.

L'inaction des États défaillants

Il ne s’agit pas, évidemment, pour la penseuse, de dire que toute assistance de l’État – ou, en termes plus larges, de la communauté nationale – est intrinsèquement mauvaise ou néfaste. On a vu, par exemple dans le cas de Haïti en 2010, combien les conséquences dramatiques d’une catastrophe naturelle peuvent être décuplées lorsque l’État est défaillant. C’est du reste en général cet État défaillant qui est pointé du doigt pour son inaction, y compris par les populations victimes de la catastrophe. Mais, précisément, selon Solnit, cette colère contre l’État impuissant est d’abord le reflet d’une conception, contestable mais très généralement partagée, de la puissance publique comme entité revendiquant, pour asseoir son autorité, une sorte de monopole de la prise en charge de ses citoyens et dépouillant ceux-ci de leur propension autonome à la solidarité alors même que, dans les faits, il n’est pas capable d’assurer ce besoin d’assistance. S’en remettre entièrement à l’État, c’est prendre le risque de catastrophes aux effets décuplés lorsque cet État faillit.

L’approche de Solnit, plutôt que de disqualifier unilatéralement les formes de prise en charge collectives, politiques, des catastrophes, vise d’abord à mettre en évidence la dimension répressive inhérente à l’assistance paternaliste, apparemment bienveillante, du pouvoir dans les « sociétés avec État ». Rien n’interdit, cependant, d’imaginer d’autres formes d’organisation sociale qui déjoueraient, en partie, cette logique tout en favorisant l’entraide – comme l'expérience du Rojava, région rebelle aux idées autogestionnaires du nord-est de la Syrie. Un pas de côté difficile à opérer, tant il supposerait, de la part du pouvoir politique, qu’il accepte son manque consubstantiel de légitimité, son incapacité à se fonder lui-même, plutôt que de chercher à tout prix, y compris dans les circonstances les plus désespérées, à asseoir son autorité. Un pas qui ne sera assurément pas franchi dans un régime autoritaire comme la Turquie. 

 

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