Carpe Diem sur la plage à Odessa
Depuis plus de trois mois, l’Ukraine subit la guerre lancée par l’armée russe. Odessa, le grand port de la mer Noire et troisième ville du pays, la traverse d’une façon bien particulière. Ancien joyau de l’empire russe, la « Saint-Pétersbourg du sud » est une pièce majeure de la « Nouvelle Russie » fantasmée par les idéologues du poutinisme. Elle est un objectif militaire essentiel. Mais, même si elle a subi plusieurs frappes de missiles, elle reste pour l’instant imprenable – que ce soit par la terre ou par la mer.
C’est pour comprendre ce que vivent les Odessites et les Ukrainiens que notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff s’est rendu sur place, pour passer une semaine dans cette ville portuaire où sont bloquées les céréales nécessaires à la survie d’une bonne partie du monde. En rencontrant ses intellectuels et ses habitants, il nous propose ici son carnet de bord quotidien. Aujourd’hui, sa visite sur une plage au bord de la mer Noire.
« En arrivant à Odessa dimanche matin, j’ai appris que la guerre venait d’y faire une nouvelle victime. Cet homme de 50 ans n’a pas été la proie d’une frappe russe. Il a sauté sur une mine, la veille, après avoir bravé l’interdiction de se baigner dans la mer Noire. En effet, dès les premiers jours de l’invasion russe, l’armée ukrainienne a miné les plages et les eaux pour empêcher l’attaque maritime. De leur côté, les Russes ont disséminé des mines dans la mer, et certaines dérivent vers le rivage. La réaction du commandement militaire de la ville a été grinçante. Après avoir présenté ses condoléances à son épouse et son fils qui s’apprêtaient eux aussi à entrer dans l’eau, son représentant a écrit : “Je ne sais pas ce qu’il faut répéter à tous les candidats au ‘Prix Darwin’ des idiots et des irresponsables, et qui veulent faire des selfies avec leurs enfants devant les écriteaux ‘Mines’, pour que leurs bras, leurs jambes et leurs têtes ne volent pas sur la mer Noire et les plages de la région d’Odessa. En ce moment, en temps de guerre, tout est miné. Vous ne le croyez pas ? Cet homme, malheureusement, ne le croyait pas non plus.” Humour noir odessite.
“Attention danger, mines” © Michel Eltchaninoff
J’ai donc longé, en ce dimanche de Pentecôte orthodoxe, jour de fête et de repos, le rivage de la mer Noire, de la station branchée Arcadia jusqu’aux petits restaurants de bord de mer, dont s’échappent le tintement des verres et les sons de l’accordéon. J’ai d’abord constaté que les plages étaient désertes, et que les candidats au bronzage s’étaient prudemment installés sur des planches de bois ou des plaques de zinc. Mais après trois quarts d’heure de marche, j’ai vu quelques promeneurs s’engager furtivement sur un sentier. En contrebas, à l’abri des regards, la plage était bondée. Dans l’eau, des enfants s’ébattaient. Il faisait plus de 30 degrés. La police intervient régulièrement, paraît-il, et tout le monde s’égaille en un clin d’œil. Ainsi sont les Odessites. Ainsi sommes-nous. Après plus de trois mois à vivre dans la crainte de l’invasion russe – qui n’est toujours pas venue –, à courir aux abris sous les sirènes plusieurs fois par nuit, à apprendre la mort d’un proche sur le front, on a tellement envie de retrouver les vieilles habitudes, dans une ville désertée des habituels touristes.
La drôle de guerre d’Odessa est ainsi : on attend la réouverture de l’opéra, on se détend sur les terrasses, on se met en maillot, en imaginant un instant que tout cela n’est qu’un vilain cauchemar. Carpe diem. »
En partenariat avec les Presses universitaires de France, Philosophie magazine propose chaque jour une entrée du «Dictionnaire philosophique» d'André Comte-Sponville. Aujourd'hui: « Carpe diem ».
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