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Le livre du jour

“Béton. Arme de construction massive du capitalisme”, d’Anselm Jappe

Frédéric Manzini publié le 16 décembre 2020 4 min

Accusé béton, levez-vous ! C’est en effet un réquisitoire que signe Anselm Jappe dans Béton. Arme de construction massive du capitalisme (L’Échappée, 2020). Le philosophe allemand d’inspiration marxiste, spécialiste de Guy Debord et auteur, notamment, de La Société autophage (La Découverte, 2017), prend pour cible le matériau le plus employé sur Terre après l’eau – et qui est aussi le matériau de construction préféré des architectes depuis un siècle. Mais au lieu de se lever, c’est bien de s’effondrer que menace le béton avertit Jappe, dont le livre a été inspiré par l’écroulement du viaduc Morandi à Gênes en août 2018. Plutôt que d’en accabler les ingénieurs ou la gestion par les pouvoirs publics, il fait l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’un simple accident : « Et si cela n’était qu’un signe avant-coureur ? », se demande-t-il, considérant qu’il existe une correspondance, un « isomorphisme entre le béton et la logique de la valeur marchande ». Réputé moins nocif que le plastique ou les pesticides, le béton – plus exactement le béton armé – pourrait bien condenser tous les vices du capitalisme industriel, de l’obsolescence programmée à la production de masse, en passant par une production énergivore qui stérilise les sols et épuise des ressources naturelles (en l’occurrence, le sable).

 

  • Esthétique de la déconstruction. Anselm Jappe le reconnaît dès la préface : c’est depuis l’adolescence qu’il éprouve une aversion toute personnelle pour le béton. Une aversion esthétique empreinte de nostalgie d’abord, à force de voir les bâtiments anciens démolis et remplacés par d’« horribles » et « gigantesques »  constructions en tout-béton de « l’architecture moderne ». Le béton apparaît moins comme un matériau de construction que comme l’arme de déconstruction dont se sont emparés les avant-gardes pour « jeter à bas le vieux monde et en bâtir un nouveau ». Le futurisme, le fonctionnalisme, le suprématisme, le constructivisme et même le bien-nommé « brutalisme » se sont tous précipités à glorifier un matériau révolutionnaire, en le présentant comme l’essence même de la modernité qui véhiculerait une nouvelle forme de beauté géométrique et pure, sans ornement, inhospitalière. Comme l’avait fait Annie Le Brun dans son essai Ce qui n’a pas de prix (Stock, 2018), Jappe salue par contraste la lucidité du libertaire anglais William Morris qui, dès la fin du XIXe siècle, avait compris qu’une architecture doit au contraire exprimer de la joie et de la générosité.
  • Politique de l’uniformisation. Mais derrière les motifs esthétiques se dissimulent des raisons politiques, qui tiennent aux enjeux propres au XXe siècle. Le béton est alors vu comme un instrument d’uniformisation au service d’un « style international » censé dépasser les nationalismes, ou d’une architecture supposée progressiste. Pourtant « ici comme ailleurs, les volontés émancipatrices des avant-gardes ont finalement contribué à la modernisation du capitalisme », déplore avec amertume Jappe. Les millions de logements préfabriqués ont été taylorisés, standardisés comme des « cages à lapins », au grand bénéfice de l’industrie immobilière de l’après-guerre, de la voracité des spéculateurs et des scandales collatéraux dont ils ont fourni l’occasion. Comble de l’aliénation, les pauvres eux-mêmes se sont mis à détester leur propre habitat, qui s’est révélé aussi peu agréable à vivre qu’il était peu coûteux à construire.
  • Morale de l’irresponsabilité. Jappe dénonce également l’aveuglement des penseurs qui continuent de s’enthousiasmer pour le génie visionnaire de Le Corbusier, dont il estime que ses « machines à habiter » et ses monstrueuses « cellules d’habitation » transpirent le totalitarisme et l’eugénisme. Mais tout en comparant le fascisme de Le Corbusier avec le nazisme de Martin Heidegger, Jappe pointe une différence fondamentale : il y a ainsi une « responsabilité sociale » spécifique à l’architecte dont les œuvres structurent notre espace commun. L’architecture est le seul art qu’on ne peut éviter et que l’on doit collectivement subir, même à contrecœur. Faudra-t-il donc supporter à jamais ces bâtiments ?
  • Peut-être pas, et c’est toute l’ironie de l’histoire. En effet, bâti avec du sable et sujet à la corrosion à cause du métal qu’il contient, le béton armé ne mérite même pas sa réputation de durabilité. Telle que la raconte Anselm Jappe, l’anecdote peut prêter à sourire si elle n’était pas révélatrice d’un aveuglement collectif : « Dans les années 1980, Burri n’hésita pas à recouvrir de béton les ruines de la ville sicilienne de Gibellina, détruite puis abandonnée en 1968 à la suite d’un tremblement de terre. Il espérait ainsi conserver la mémoire du lieu. Même si certains pouvaient être séduits par l’idée de départ, cette œuvre de land art prouve encore une fois que le béton vieillit bien plus mal que les ruines anciennes qu’il a recouvertes »… Reste à savoir quand arrivera le grand soir de la dégradation annoncée, et par quoi le béton sera remplacé quand, enfin, il sera laissé.

 

Béton. Arme de construction massive du capitalisme, d’Anselm Jappe, vient de paraître aux Éditions de L’Échappée et est disponible ici.

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