Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Für paul Celan : Aschenblume [pour paul Celan : fleur de cendre] 2006. Huile, émulsion acrylique, shellac et livres brûlés sur toile 330 x 760 x 40 cm. Collection particulière. Photo : © Charles Duprat

Arts

Anselm Kiefer, la création sur les ruines

Cédric Enjalbert publié le 07 mars 2016 5 min
Une ambitieuse exposition consacrée à Anselm Kiefer dresse une large rétrospective de son œuvre. Obnubilé par le rapport de l’homme au temps, l’artiste allemand crée sur les ruines de l’histoire, articulant un rapport dialectique entre la création et la destruction. À voir au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 18 avril 2016.

« Je ne suis pas un peintre de l’art pour l’art. Je ne fais pas de la peinture pour faire un tableau. La peinture, pour moi, c’est une réflexion, une recherche », affirme Anselm Kiefer. Une grande exposition du Centre Pompidou met l’artiste à l’honneur jusqu’au 18 avril 2016, retraçant plus de quarante ans de création. Le plasticien allemand vivant en France, qui a fait de l’exercice de la mémoire et de ses pensées inquiètes sur le temps le cœur de son œuvre, s’est prêté au travail de la rétrospective. Cent cinquante peintures, installations et vitrines sont exposées, suivant un parcours thématique explorant les obsessions du maître, né au printemps 1945 dans une Allemagne dévastée par la guerre. Tout dans l’univers d’Anselm Kiefer renvoie à la dialectique entre la destruction et la création.

Outre de grandes toiles réinterprétant les mythes germaniques et l’histoire allemande, l’artiste expose un « arsenal d’objet en attente de rédemption », sous des vitrines : une machine à écrire, une machine de projection, des livres en cendre. Ils évoquent la mémoire des autodafés, contre l’amnésie collective et la culture perdue, mais aussi le mystère de la persistance de l’être dans le temps. Ésotérique et mystique, l’artiste déploie un large horizon philosophique, en lecteur de Heidegger, dont il retient que le néant ne saurait conçu comme l’inverse de l’existence car il appartient à l’existence en soi. Selon l’artiste, la création repose sur un va-et-vient entre le rien et le quelque chose.

Des romantiques allemands comme Caspar David Friedrich (1774-1840) ou Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854), il reprend et poursuit la réflexion sur le temps et sur la valeur des ruines. Il aime ainsi rapporter un apologue de Novalis (1772-1801) figurant sa démarche de création, montrant que toute tentative de définition de l’art se défait au seuil de son énoncé : un mineur descend au fond de la mine le jour de son mariage et meurt. Durant des années, il demeure toujours aussi jeune et beau qu’au jour de sa mort, préservé jusqu’à ce qu’il soit remonté à la lumière. Alors, il se désagrège en cendres. Ainsi, selon Anselm Kiefer, la beauté qui se réalise dans l’art devient cendre une fois remontée au niveau du discours. Sur les pas de ces penseurs romantiques, il s’interroge sur le rapport entre l’être et le temps, cherchant une place pour l’homme entre le microcosme et le macrocosme, dont ses œuvres monumentales sont l’exploration.


Die Orden der nacht [les Ordres de la nuit] 1996. Acrylique, émulsion et shellac sur toile 356 x 463 cm. Seattle Art Museum. Photo : © Atelier Anselm Kiefer
 

Lui qui a inauguré la première exposition Monumenta du Grand-Palais pense que « l’exactitude de la science, c’est toujours une exactitude préliminaire. Les sciences ne sont exactes qu’un certain temps, et à un certain degré de connaissance. Puis, une autre théorie dément la précédente. Mes tableaux, que je laisse exposés là, j’y cherche aussi l’exactitude finale.
La science m’inspire beaucoup, même si les sciences sont aujourd’hui très séparées les unes des autres et les scientifiques aussi. Ils ne parviennent pas à articuler les deux systèmes, le macrocosme et le microcosme. Einstein n’y est pas parvenu et a cherché toute sa vie. Nous cherchons une vision complète du monde. Pour cela, il faut une prescience, une grande image. »

De cette une vision « complète du monde », il donne un aperçu depuis une tour composée de six containers empilés, érigée au cœur du Centre Pompidou, depuis l’entre-sol du musée, du haut de laquelle tombe des rubans de plomb recouverts d’images photographiques. Bâtie comme il peint des pyramides inversées (voir Isis et Osiris, peint entre 1985 et 1987), afin d’explorer l’abîme en montant vers les cimes, cherchant dans le passé une image de l’avenir, cette tour illustre à la fois sa conception du temps et l’enjeu de cette rétrospective : « plus on retourne vers le passé, plus on va vers le futur, dit-il. C’est un double mouvement contradictoire qui étire le temps… ». De ce paradoxe, il a d’ailleurs fait le titre de cette construction, empruntant une citation à Goethe dans Faust, lorsque ce dernier descend chez les mères, des divinités mystérieuses : « En montant, en montant vers les hauteurs, enfonce-toi dans l’abîme ».


Osiris und Isis [Osiris et Isis] 1985-1987. Huile, acrylique, émulsion, argile, porcelaine, plomb, fil de cuivre et circuit imprimé sur toile 379,7 x 561,3 x 24,1 cm. San Francisco Museum of Modern Art, purchase through a gift of Jean Stein by exchange, the Mrs. Paul L. Wattis Fund, and the Doris and Donald Fisher Fund © Anselm Kiefer / Photo : Ben Blackwell
 

Que reste-t-il de ce mouvement contradictoire de l’artiste pris dans l’étau du temps, entre passé et futur, de l’œuvre qui ne cesse « d’osciller entre sa perte et sa renaissance » ? Des « ruines au présent », porteuses d’une forme de mélancolie ainsi qu’un avertissement pour les temps futurs. L’art survivra à ses ruines, s’intitule d’ailleurs la leçon inaugurale qu’Anselm Kiefer prononce en 2011 au Collège de France, à la chaire de création artistique. Citant Merleau-Ponty, Sartre ou Barthes, l’artiste y élabore une théorie de l’art nourri de contradictions fructueuses, chargé d’« un fardeau informe, le plus souvent hideux, qui lui permet de se renouveler », d’un « butin » volé à la réalité que la création se charge de transformer. Anselm Kiefer peint comme le poète Paul Celan écrit après-guerre, pour contredire l'affirmation d’Adorno, convaincu qu’ « écrire un poème après Auschwitz est barbare ».

Pour mener à bien cette transmutation de la matière et du temps, l’artiste cultive, pour reprendre la formule de l’historien d’art Daniel Arasse une « mémoire sans souvenir ». Il réemploie des matériaux de monuments abandonnés ou en réfection, dont il tire une création. Il a ainsi racheté tout le plomb de la toiture de la cathédrale de Cologne, lors de sa rénovation, du plomb qu'il travaille en alchimiste, admirateur du médecin, physicien et kabbaliste de la Renaissance Robert Fludd. De ce matériau, il exploite non seulement les caractéristiques physiques de résistance et de malléabilité mais aussi la masse et la noirceur chargée d’histoire, qu’il interprète comme une forme densifiée de la bile noire, évoquant la mélancolie saturnienne.


Resumptio, 1974. Huile, émulsion et shellac sur toile de jute 115 x 180 cm. Collection particulière. Photo : © Atelier Anselm Kiefer
 

Du rapport de la ruine à la mélancolie et, à travers elle, de l’homme au temps et au cosmos, Diderot dans son Salon de 1767 témoigne déjà, méditant sur les toiles d’Hubert Robert (à propos duquel une exposition se tient au musée du Louvre du 9 mars au 30 mai 2016). Le philosophe des Lumières montre que la seule éternité est celle du temps :

« Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde! Je marche entre deux éternités. De quelque part que je jette les yeux, les objets qui m’entourent m’annoncent une fin et me résignent à celle qui m’attend. Qu’est-ce que mon existence éphémère, en comparaison de celle de ce rocher qui s’affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête et qui s’ébranlent ? Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussière; et je ne veux pas mourir! »

Transmuer la mort, sublimer le temps et transformer le plomb en or ? Une ambition d’alchimiste et une rêverie d’artiste hanté par la tragédie historique, qui tracent le fil rouge de la vaste rétrospective du Centre Pompidou.

Expresso : les parcours interactifs
Les mots pour dire « je t'aime »
Pourquoi est-ce si difficile d'exprimer notre amour avec justesse et élégance ? Bergson nous montre que le langage lui-même peine à restituer l'immense diversité de nos sentiments.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
7 min
Anselm Jappe : dépasser la paresse... et le travail
Octave Larmagnac-Matheron 22 juillet 2023

Rompre avec l’idéologie du travail : c’est le projet d’Anselm Jappe, qui préconise de revaloriser les activités non rentables et choisies. …

Anselm Jappe : dépasser la paresse... et le travail

Article
5 min
Marc de Launay : “Par la peinture, Rembrandt questionne la nature même de la philosophie”
Hannah Attar 10 mars 2021

Dans son dernier ouvrage Peinture et philosophie (Éditions du Cerf, 2021), le traducteur et auteur Marc de Launay s’interroge sur le…

Marc de Launay : “Par la peinture, Rembrandt questionne la nature même de la philosophie”

Article
5 min
Hubert Robert au musée du Louvre: une poétique des ruines
Victorine de Oliveira 04 avril 2016

Le musée du Louvre présente à Paris l’exposition “Hubert Robert, 1733-1808 – Un peintre visionnaire”, jusqu’au 30 mai 2016. L’artiste a fait des ruines son thème de prédilection.


Le fil
3 min
“Une Histoire universelle des ruines”, d’Alain Schnapp / “Ruines”, de Josef Koudelka
Victorine de Oliveira 04 décembre 2020

Rappel de notre finitude et de notre vulnérabilité, les ruines fascinent tout autant qu’elles inquiètent. Le romantisme a médité sur le passage du temps en…

“Une Histoire universelle des ruines”, d’Alain Schnapp / “Ruines”, de Josef Koudelka

Entretien
15 min
Bruce Bégout : “Nous sommes la dernière génération à pouvoir célébrer les ruines”
Victorine de Oliveira 05 mai 2022

Bruce Bégout a écrit sur le vide de Las Vegas comme sur la phénoménologie de Husserl. Dans son nouvel essai, Obsolescence des ruines, le…

Bruce Bégout : “L’architecture contemporaine rompt avec l’imaginaire poétique de la ruine”

Article
1 min
Destruction-Création
14 mars 2013

« C’était une sensation étonnante de tirer sur un tableau et de voir comment il se transformait lui-même en un nouveau tableau. C’était excitant et sexy,…

Destruction-Création

Article
5 min
Série ES : texte d'Anselme, « De la concorde »
Aïda N’Diaye 17 juin 2013

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles.


Le fil
4 min
“Béton. Arme de construction massive du capitalisme”, d’Anselm Jappe
Frédéric Manzini 16 décembre 2020

Accusé béton, levez-vous ! C’est en effet un réquisitoire que signe Anselm Jappe dans Béton. Arme de construction massive du capitalisme (L’Échappée, 2020…

“Béton. Arme de construction massive du capitalisme”, d’Anselm Jappe

À Lire aussi
“Sur la peinture”, les cours inédits de Deleuze présentés par son éditeur
“Sur la peinture”, les cours inédits de Deleuze présentés par son éditeur
Par Victorine de Oliveira
octobre 2023
L’art
Par Nicolas Tenaillon
août 2012
La création continue
La création continue
Par Suzi Vieira
août 2007
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Anselm Kiefer, la création sur les ruines
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse