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© Callie Morgan/Unsplash

Réseaux sociaux

BeReal : l’ordinaire contre le spectaculaire ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 02 juin 2021 4 min

Vous en avez assez des photos des paysages splendides, des corps savamment sculptés qui prennent la pose, des restaurants luxueux qui semblent appartenir à une tout autre réalité – bref, vous ne supportez plus de scroller sur Instagram ? Peut-être que BeReal, un réseau social imaginé par Alexis Barreyat, vous conviendra peut-être mieux. Le principe ? Chaque jour, à une heure aléatoire, une alerte vous incite à prendre et partager une photo de ce que vous avez devant chez vous. Pas le temps de se mettre en scène, de choisir le bon filtre : vous avez deux minutes. Une manière de réapprendre à faire attention à la trivialité du réel, dépouillée de tout artifice.

Mais est-ce bien encore la réalité que nous observons sur l’écran de notre téléphone et que promet le nom même du réseau ?

 

  • « Comme il m’est difficile de voir ce que j’ai sous les yeux ! », s’exclamait Ludwig Wittgenstein dans ses Remarques mêlées (1970). À raison, sans doute : une assiette sale dans un évier, un biscuit à moitié entamé et son cortège de miettes éparses, un mouton de poussière galopant entre deux lattes de parquet à la propreté un peu douteuse… Nous prêtons rarement attention à ces détails anodins de tous les jours. Aucune chance, alors, que nous les immortalisions, et moins encore que nous partagions ces photos sur un réseau social comme Instagram, où règnent, main dans la main, le spectaculaire et le beau.
  • C’est précisément contre ce privilège de l’extra-ordinaire, de l’exceptionnel, que s’élève le réseau social de partage d’images BeReal. L’objectif : mettre en lumière la réalité prosaïque de la vie quotidienne, ce qui en fait toute la consistance et se dissimule pourtant derrière les filtres colorés et les mises en scène sophistiquées des réseaux actuels. Un peu à la manière de l’approche développée par Francis Ponge dans Le Parti pris des choses (1942), et par Georges Perec dans L’Infra-ordinaire (1989). Au yeux du second, nous passons le plus clair de nos existences dans le milieu, fascinant, de « l’événement, [de] l’insolite, [de] l’extra-ordinaire ». Et, ce faisant, en occultant le monde sans apparence où se déploie notre existence, nous oublions aussi qui nous sommes. « Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, I’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, I’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ?»
  • Tout le problème, c’est bien de réapprendre à voir ce que nous avons nous le nez – de dépasser l’ennui, peut-être même le dégoût du quotidien. En général, « nous ne l’interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s’il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s’il n’était porteur d’aucune information. Ce n’est même plus du conditionnement, c’est de l’anesthésie. Nous dormons notre vie d’un sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ? », comme le formule Perec. Comment « parler de ces choses communes », poursuit l‘écrivain, « comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées », à savoir la trivialité du monde ?
  • Le parti pris de Perec et de Ponge consistera à montrer, faire voir, indiquer ce que, normalement, nous ne remarquons pas. À lui rendre un certain éclat, une certaine dignité (au sens où ce quelque chose devient digne d’intérêt) par son évocation poétique. Est-ce bien, pourtant, le réel que nous percevons lorsque nous nous arrêtons sur l’exaltation pongienne de la mie de pain qui gonfle dans le four ou de la pluie qui tombe ? Quelle différence y a-t-il, si l’on veut grossir le trait, entre l’esthétisation d’une mise en scène sur Instagram et la stylisation d’une description poétique ? Le geste du poète ne revient-il pas, par la pause qu’il impose au rythme aveugle du quotidien – celle de la lecture –, à anéantir l’ordinaire pour le convertir, par le geste de faire voir, en un spectacle extraordinaire ?
  • Les concepteurs de BeReal ont bien senti cette ambiguïté foncière de l’ordinaire, qui s’échappe au moment même où l’on veut le montrer, qui n’est plus vraiment lui-même dès lors que nous lui prêtons attention : les photos postées sur la plateforme s’effacent au bout d’une journée, comme pour rendre l’ordinaire à sa fuite oublieuse. Nous ne pouvons, en effet, montrer notre commerce ordinaire avec les choses sans perdre notre proximité à elles, sans perdre le sens même de l’ordinaire, sans recouvrir le réel d’un filtre, esthétique ou théorique. Renouer avec le réel tient peut-être plus, en ce sens, de l’enfoncement dans son obscurité que de la prétention à aller vers les choses elles-mêmes, selon un mot d’ordre bien connu.
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