Aristote et Platon : rencontre au sommet

Ce n’est pas le duel du siècle mais celui de vingt-cinq siècles. On en retrouve l'écho dans toute la pensée occidentale, de l’opposition entre les dominicains, aristotéliciens, et les franciscains, platoniciens, comme entre Descartes et Hume, Heisenberg et Einstein.

La scène orne une paroi de la Stanza della Segnatura, la « Chambre de la Signature » où le Pape Jules II paraphe ses bulles. C’est la fameuse École d’Athènes (1512) : sous les traits de ses contemporains, Raphaël y représente 21 figures majeures de la pensée antique. Platon et Aristote sont au centre et au point de fuite. Le premier tient le Timée sous le bras gauche et indique le ciel de l’index de sa main droite ; le second tient l’Éthique et tourne la main vers la terre. Côté jardin, le géant qui défend le parti du ciel, de l’idéalisme, des mathématiques et du logos contre la doxa ; côté cour, le champion de la terre, du réalisme, de la zoologie et de la botanique. Le théoricien face à l’empiriste, le maître contre le disciple rebelle.

On a longtemps pensé que Raphaël avait peint Platon sous les traits de Vinci, mais selon l’historien de l’art Daniel Arasse, il aurait donné à Platon les traits de celui qu’on baptise au Moyen Âge le Philosophe – « le maître de ceux qui savent », selon Dante, autrement dit : Aristote... Le peintre aurait ainsi témoigné du syncrétisme qui constitue à la Renaissance le courant néoplatoniste. Vraie ou fausse, l’anecdote souligne que l’histoire de la philosophie se confond avec celle de la confrontation, réelle et supposée, entre les deux théories : « tout homme est soit aristotélicien, soit platonicien », affirme le poète et essayiste Coleridge ! Et un an avant le jugement sans appel du philosophe Alfred Whitehead qui résume la philosophie occidentale en une « suite de notes en bas de page aux dialogues de Platon », Alain note que, avec Platon, « Aristote, c’est l’autre maître », et conclut : « Les suivants n’ont rien ajouté d’important. [...] Tout le reste est du commentaire ou du bavardage. »