Marc Aurèle

Celui que l’on surnomme « l’empereur philosophe » n’ajoute à la doctrine stoïcienne aucun concept. Il ne s’en revendique même pas explicitement, piochant ses références de façon éclectique. Pourquoi est-il alors considéré comme l’un des plus importants penseurs et adeptes de cette école ? Parce que les efforts, les doutes, la discipline dont il fait preuve dans ses Pensées pour moi-même illustrent bien l’esprit d’une philosophie qui invite avant tout à la pratique, non à la spéculation théorique. 

Le bon gouvernement de l’Empire romain, alors à son apogée, réclame bien de la sagesse pratique. Initié au stoïcisme par son précepteur Fronton et par la lecture d’Épictète, Marc Aurèle monte sur le trône impérial en 161. Il a rapidement l’occasion de mettre à l’épreuve les préceptes de ses maîtres : inondations frappant Rome, guerres lointaines l’obligeant à partir en campagne, problèmes de santé… « Il faut se tenir prêt, sans broncher, à répondre aux coups qui fondent sur nous », écrit-il dans les Pensées qu’il entame durant la campagne militaire de Germanie en 169.

Les Pensées ne sont pas un essai : on y retrouve les grands thèmes du stoïcisme – recherche de l’absence de troubles de l’âme, distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, souci de prendre sa place dans l’ordre de la nature –, mais ils ne sont jamais discutés ni démontrés. Les répétitions sont nombreuses, la forme en est fragmentaire, comme dans un journal de bord. L’empereur s’y adresse à lui-même, médite sur le caractère éphémère de toute chose – la gloire et les honneurs en premier lieu : « Le temps de la vie de l’homme, un instant ; sa substance, fluente ; ses sensations, indistinctes ; l’assemblage de tout son corps, une facile décomposition ; son âme, un tourbillon ; son destin, difficilement conjecturable ; sa renommée, une vague opinion. »

Les préceptes du stoïcisme peuvent certes aider à déterminer une droiture des pratiques quotidiennes – comment réagir face à un deuil, à un revers de fortune –, mais il s’agit surtout d’accorder son existence au cosmos en consentant à son fonctionnement. Tout empereur qu’il est, Marc Aurèle n’espère pas particulièrement le succès de ses entreprises et ne travaille pas à éviter l’échec, comme l’enseignerait un « coach de vie ». Il ne tend qu’à accomplir sa « tâche d’homme », jusqu’à sa mort en 180, probablement de la peste.