Problèmes de la philosophie morale 

On connaît l’Adorno critique de la Dialectique négative et celui musicologue et moderniste de la Théorie esthétique, mais on connaît moins l’Adorno moraliste. Toute sa vie pourtant, le philosophe a été travaillé par la question morale et s’est interrogé sur le sens qu’elle pourrait revêtir après la Shoah. Dans les Minima Moralia, publiées en 1951, il constatait qu’elle s’était recroquevillée sur la sphère privée, c’est-à-dire sur une éthique qui ne se soucie que de l’enjeu personnel au détriment de la vie collective. Ces Problèmes de la philosophie morale, retranscrits à partir d’enregistrements de cours dispensés en 1963 et inédits en français, vont plus loin. Établissant que « le rapport entre l’individu isolé et le tout » est rien moins que « le problème décisif de la philosophie morale », Adorno y questionne longuement la pensée kantienne qui représente à ses yeux la philosophie morale par excellence : posant le problème de la volonté libre, elle fait l’expérience de la tension qui lie chacun à la fois à l’universel et à la société qui l’entoure. Pour agir de façon morale, en effet, il ne saurait suffire d’accomplir son éthos et de rester honnête par rapport à soi-même. L’interrogation devient alors : comment est-il possible de mener une vie juste dans un monde qui ne l’est pas ? Et la réponse qu’apporte Adorno consiste à mettre en avant le moment irrationnel de toute action morale et le concept de résistance (Widerstand), comme opposition à ce qu’il appelle « une vie fausse », à « une société essentiellement fondée sur la violence et l’exploitation ». C’est donc une figure inédite du devoir moral qui apparaît dans ces conditions où « le monde est organisé de telle sorte que même la plus simple exigence d’intégrité et de décence doit, de fait, presque nécessairement conduire tout un chacun à la contestation ». Des propos qui résonnent avec l’actualité des mouvements protestataires !